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LE PORTUGAL.

surgea ouvertement le 13 mars 1838. Le baron de Bonfim fit entourer le bâtiment de l’arsenal par la troupe de ligne, et les révoltés tirèrent les premiers sur les soldats. Ce fut une époque vraiment critique pour le Portugal. Les nouveaux ministres constitutionnels avaient, pour la première et non pour la dernière fois, affaire aux constitutionnels révoltés, à ceux mêmes qui faisaient leur force contre les chartistes, à la seule armée active du parti de la constitution. Aussi M. Bernard de Sâ parut-il d’abord plus empressé d’opérer une transaction que de rétablir l’ordre ; il commanda à la troupe de ligne de se retirer, et laissa au bataillon de l’arsenal ses armes et son poste. Celui-ci, exalté par l’avantage qu’il semblait avoir obtenu, se joignit à d’autres bataillons de la garde nationale, et occupa dans l’intérieur de la ville des positions formidables. Les cortès s’opposaient à toute mesure vigoureuse et penchaient du côté de l’insurrection ; c’est ce qui la perdit. Le sort des ministres était désormais lié au maintien de l’ordre, et M. Bernard de Sâ prit hardiment son parti ; il marcha, avec le baron de Bonfim, contre les révoltés, qui furent complètement défaits après un combat sanglant et acharné. Depuis ce temps, le parti de l’arsenal, comme on l’appelle, a tenté de nouvelles insurrections, et menacé plus d’une fois la tranquillité du royaume ; mais la journée du 13 mars avait irrévocablement fixé la position du gouvernement. Aussi, lorsque le 4 avril la reine prêta serment à la constitution nouvelle, et proclama une amnistie générale pour le passé, les chartistes et la portion modérée des constitutionnels se trouvèrent naturellement réunis contre le parti le plus exalté. Ils se sont à peu près confondus depuis sous le nom des amis de l’ordre.

Telle est l’empire de la raison ; l’instinct de conservation a tant de force, que, même dans le petit nombre d’hommes qui dominent et agitent la société, le parti du bon sens compte en Portugal une grande majorité. Le mal est bien plus dans un défaut d’accord entre les partis et les sentimens nationaux, dans l’absence des hommes d’expérience et de caractère, que dans le vice des principes politiques pris en eux-mêmes. Mais c’est une vérité aussi bizarre qu’elle est triste : pendant que la nation n’aspire qu’au repos, et que la majorité de ceux qui prennent part au gouvernement s’attache aux principes d’ordre et de stabilité, les principes ont été sans cesse sacrifiés aux passions anarchistes. Cela semble autoriser l’opinion admise en France, que dans la Péninsule il ne se rencontre que des partis extrêmes. Nulle part, au contraire, le cynisme de l’indifférence n’est plus grand ni plus commun, et cette indifférence même produit les effets qui trompent le spectateur éloigné. La société est si divisée, les dissensions politiques et le malheur, cette grande cause d’immoralité, ont tellement brisé tous les liens et tous les cœurs, qu’il ne reste que des atômes inertes. Rien ne les unit, rien ne fait corps ; la moindre force organisée se fait facilement obéir ; elle ne rencontre que des individus isolés et découragés. Tous les intérêts ont été écrasés, tous les ordres détruits, les corporations affaiblies ; les cendres sont demeurées stériles ; il ne s’est pas recomposé une nation nouvelle, et aux points extrêmes de la chaîne politique existent deux forces compactes, d’origine bien différente ; l’une est ancienne,