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l’autre toute moderne, mais elles se ressemblent en ce point, qu’elles seules sont douées de mouvement, et qu’elles s’adressent également aux passions violentes. À la faveur du fractionnement universel et d’un scepticisme moral plus corrupteur encore que celui de l’intelligence, elles ont alternativement entraîné, non pas la nation, immobile dans son inertie, mais les gouvernemens successifs et divers que lui a envoyés la Providence. Que le vent souffle du côté de l’absolutisme, les moines oppriment facilement leur parti ; ils le dominent malgré lui, car il n’a de force et d’appui qu’en eux. Que la tempête ramène les idées libérales, les francs-maçons et les exaltés assiégent le pouvoir ; leur nombre est bien petit, mais les modérés ont peine à se soustraire à leur empire. Ceux-là seuls sont unis et actifs. Qu’ils parviennent à s’affilier quelques bataillons de garde nationale ou les officiers d’un ou deux régimens, au premier tumulte ils accourent et triomphent sans résistance, la population entière reste passive. C’est avec indifférence qu’un ministère, une constitution, sont renversés ; on dit alors que la voix du peuple et de l’armée s’est fait entendre, et en France l’inertie de la nation portugaise est prise pour un signe d’assentiment.

Mais peut-être le Portugal s’avance-t-il vers un meilleur avenir, peut-être le présent vaut-il mieux que le passé. Le Portugal s’est dégagé de la sphère d’action de l’Espagne, il a résisté à l’imitation des dernières crises de son turbulent voisin ; ce fait est à lui seul d’un heureux présage ; c’est un signe de vie, une preuve d’individualité. La reine Christine tombe insultée, tandis que le trône de doña Maria est soutenu par le dévouement et le respect. Le parti exalté espagnol se divise, et les constitutionnels portugais s’unissent aux chartistes ; n’importe dans quelle route, c’est faire le premier pas vers la liberté sincère, que de s’isoler de toute influence étrangère. La conclusion des négociations entamées avec le saint-siége par le vicomte de Careira offre un progrès plus utile encore. L’union du Portugal avec Rome peut frayer au nouveau régime sa route vers la conquête de sa nationalité. Les constitutionnels modérés possèdent depuis quatre ans le pouvoir qu’ils ont exercé seuls d’abord, et ensuite réunis aux chartistes. Il est vrai que les amis de l’ordre, comme ils s’appellent, ont rarement la puissance de maintenir l’ordre ; ils ne savent pas assurer la perception des impôts, les finances sont dans la dernière pénurie, et la corruption administrative et judiciaire ne cesse pas de dévorer lentement la société. On ne saurait dire ce qu’est, dans la réalité, ce pouvoir confus et oscillant qui se soutient par la faiblesse de ses ennemis ; au moins, c’est quelque chose de doux et de modéré qui ne demande qu’à vivre. Ce gouvernement serait constitutionnel, si l’on exécutait la constitution, et pourrait s’appeler populaire, si l’état des esprits n’isolait le peuple de toute participation aux affaires publiques ; tel qu’il est, on doit faire des vœux pour sa conservation : la durée est le premier des élémens de force et de moralité.