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L’ISTHME DE SUEZ.

On conçoit que ces historiens aient cru ou voulu faire croire que ce canal, que les derniers rois perses avaient laissé dépérir, n’avait jamais servi, et aient reporté sur ce prince l’honneur d’avoir achevé le premier cette grande entreprise, commencée en vain par ses prédécesseurs ; mais le témoignage d’Hérodote vient ici déposer contre leurs flatteries, en prouvant que le canal avait auparavant servi à la navigation.

Achevé par Philadelphe, comme le dit expressément Diodore de Sicile, le canal continua d’être en activité pendant tout le temps de la domination des Lagides ; Diodore et Strabon, qui voyageaient en Égypte, le premier, soixante ans avant Jésus-Christ, sous Ptolémée Dionysos, et Strabon, quarante ans plus tard, lorsque la contrée était déjà réduite en province romaine, parlent du canal comme existant et servant à la navigation. Le premier écrit en ces termes le moyen employé pour y faire entrer les vaisseaux de la mer Rouge : « Ptolémée, deuxième du nom, acheva le canal, et pratiqua une séparation (διάφραγμα) artistement construite (φιλότεκνον), dans l’endroit le plus favorable ; on l’ouvrait quand on voulait passer, et on la refermait aussitôt après[1]… » Strabon le décrit ainsi : « Il existe un autre canal qui va se décharger dans la mer Érythrée ou golfe arabique, près de la ville d’Arsinoé, appelée par quelques-uns Cleopatris. Il traverse les lacs dits amers… Les rois Ptolémées coupèrent cet isthme, et fermèrent le canal à l’entrée, de manière qu’on pût à volonté et sans obstacle passer dans la mer extérieure (la mer Rouge), et rentrer dans le canal[2]. »

Quelle était cette séparation artistement construite dont parle Diodore ? Ce ne pouvait être un de ces barrages simples, de ces vannes, ce que Diodore de Sicile appelle ailleurs des portes, en parlant de la fermeture ordinaire des canaux[3]. Il n’aurait point, dans ce cas, employé une telle expression ; c’était à coup sûr une invention particulière appliquée uniquement à ce canal, dont les conditions étaient différentes de celles de tous les autres canaux de l’Égypte. J’ai pensé il y a long-temps que ce pouvait être un barrage double, c’est-à-dire qu’outre le premier barrage à l’extrémité du canal, vers la mer Rouge, on en avait pratiqué un autre du côté de terre, et que l’intervalle formait une sorte de sas, que Strabon appelle un euripe fermé, dont le niveau s’élevait et s’abaissait selon le besoin qu’on en avait pour

  1. Diod. I, 33.
  2. Strab. XVII, 804.
  3. Ibid. I, 19.