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langues appartenant à trois des grandes divisions du système océanien : la langue de Madagascar, le malay et les langues de la Nouvelle-Zélande, des îles Sandwich, Taïti et Tonga. Non-seulement il a constaté des affinités générales et évidentes entre ces divers idiomes, mais encore il a démontré que les rapports de ceux de la Polynésie orientale étaient plus étroits avec le madécasse, placé à l’extrémité opposée et au point le plus reculé, qu’avec le malay, qui occupe une position intermédiaire. Il a, de plus, découvert que des mots communs au madécasse et aux dialectes polynésiens ne se reproduisaient pas dans le malay. Ces deux considérations lui paraissent devoir confirmer l’opinion émise dans le siècle dernier par Forster, et depuis soutenue par Marsden et Crawfurd, que tous ces idiomes dérivent d’une langue très ancienne, aujourd’hui perdue, et dont les traces sont restées plus ou moins pures et nombreuses dans les divers dialectes de l’Océanie.

Mais l’homme qui est allé le plus loin dans cette voie d’investigation, c’est Guillaume de Humboldt. Cet illustre orientaliste, qui est le plus profond linguiste dont notre siècle s’honore, joignait à un esprit de recherche analytique, porté à un degré éminent, un fonds inépuisable de connaissances ethnographiques. Pour lui, l’étude des langues n’était qu’un moyen d’arriver à une intelligence plus parfaite des formes de la pensée. Son ouvrage sur le kawi, la langue littéraire et liturgique des anciens Javanais, ouvrage qui a été publié en partie après sa mort par son savant collaborateur M. Buschmann, peut être regardé comme un des plus beaux monumens que la philologie ait élevés ; il embrasse le système entier des idiomes océaniens dont le savant linguiste a recherché les affinités et retracé le développement, éclairant sans cesse ses aperçus philologiques par l’étude comparée des monumens et des traditions, et les confirmant par tout ce que sa vaste érudition a pu lui suggérer de faits curieux et intéressans. Le grand mérite, à mes yeux, de Guillaume de Humboldt, c’est d’avoir fondé la démonstration de ces affinités sur des bases vraiment rationnelles, c’est-à-dire non-seulement sur des rapprochemens de mots choisis dans des listes partielles, mais encore sur la comparaison des formes grammaticales employées par chaque nation.

La méthode suivie par le savant académicien de Berlin tient aux doctrines professées par l’école linguistique dont il était, avec Guillaume de Schlegel, un des principaux chefs. Il est nécessaire de se rappeler ici que les ethnographes des temps modernes se partagent