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qu’une reproduction servile des modèles indous. En imitant, les Javanais ont su trouver des inspirations originales, associer d’une manière heureuse les créations de la mythologie indoue à leurs légendes nationales, et empreindre d’une couleur locale les scènes auxquelles les poètes sanskrits ont assigné leur patrie pour théâtre. Ce système de fusion se rencontre à un degré très curieux dans le Kanda, le plus ancien poème kawi qui nous soit parvenu, mais dont il ne nous reste aujourd’hui qu’une traduction en langue vulgaire. Ce poème, qui contient une exposition de la cosmogonie javanaise avec un mélange de doctrines bouddhiques, remonte aux premiers temps de l’arrivée des colonies indoues à Java ; car les divinités de l’Inde y figurent avec les divinités indigènes dans un antagonisme qui atteste la lutte des deux principes de sociabilité, mis depuis peu en présence.

Le triomphe des idées indoues sur la civilisation javanaise primitive explique pourquoi le Kanda nous montre sans cesse ces divinités indigènes dans un état de subordination et d’infériorité. Le dieu javanais Watou Gounong[1] est la personnification la plus remarquable de cette lutte nationale contre un culte étranger. Sa légende, racontée dans le Kanda, est fondée sur un mythe tout astronomique et se lie évidemment aux cycles usités dans l’ancien calendrier javanais.


« Il y avait une femme nommée Sinta qui vivait sur la terre, et qui avait une jeune sœur nommée Landap. Une nuit elle rêva qu’elle était couchée à côté d’un pandit (docteur) nommé Rési Gana. Quelques mois après elle se trouva enceinte, et au bout du neuvième elle donna le jour à un enfant mâle d’une rare beauté. Celui-ci, en grandissant, manifesta un caractère violent et indomptable. Un jour qu’il avait excité au plus haut point la colère de sa mère, elle le frappa sur la tête d’un coup si fort, qu’il s’enfuit dans les bois, où plus tard il se fit ermite. Ayant terminé sa pénitence, il vint au pays de Djiling Wési (l’une des anciennes capitales de l’empire javanais), et là, dans une querelle, ayant tué le roi, il monta sur le trône à sa place et devint bientôt un souverain puissant. Il n’était pas encore marié, lorsque sa mère et Landap vinrent à Djiling Wési. Ne les reconnaissant pas et frappé seulement de leur beauté, il les épousa toutes deux. Il avait eu déjà vingt-sept enfans de sa mère Sinta, lorsqu’un jour celle-ci le reconnut à la blessure qu’elle lui

  1. Ce nom signifie Pierre de la Montagne, et fut donné à Watou Gounong parce qu’en faisant pénitence sur une montagne, il était resté immobile comme une pierre pendant de longues années. La rigueur de ses austérités lui avait mérité la force et le pouvoir surnaturels dont il était doué et le privilége d’être invulnérable.