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EUSTACHE LESUEUR.

faisait, peignant tout de pratique sans se soucier de la nature, ne respectant que Michel-Ange, et n’admettant même pas qu’il eût existé une peinture avant l’inauguration du grand style académique.

Il vint s’établir à Fontainebleau avec une petite légion d’artistes ses compatriotes que le roi lui avait permis d’amener, et dont les noms n’étaient pas tous obscurs ; car on comptait dans le nombre Lucca Penni, Naldini, Domenico del Barbieri, Bartolomeo Miniati, et, parmi les sculpteurs, Lorenzo Nadini, Antonio Mimi, Francesco da Pellegrino, Gian-Battista della Palla.

Le Rosso n’avait pas voulu faire seul le voyage, parce qu’il était sincèrement convaincu que la France était un pays de sauvages, et qu’il n’y trouverait personne pour lui nettoyer sa palette ou pour dégrossir une statue.

Bien qu’il pût être désabusé avant même d’avoir touché Fontainebleau, il n’en montra pas moins la plus grande pitié de tout ce qu’il voyait. La sécheresse, la minutieuse exactitude, la patience studieuse de nos maîtres imaginiers, excitaient sa compassion, et ses compagnons et lui en faisaient le sujet d’intarissables railleries.

Et pourtant, à côté de cette sécheresse et de ces tâtonnemens maladroits, que de belles et nobles choses n’y avait-il pas alors dans ce pays prétendu barbare ! Sans parler de nos églises, de nos donjons, et des monumens de toute sorte que produisait depuis trois siècles cette architecture audacieuse dont les témérités même décelaient le profond savoir, sans parler de tout ce qui devait survivre encore de notre sculpture du XIIIe siècle, laquelle, soit dit en passant, et sauf à le prouver ailleurs, est une création qui n’appartient qu’à nous et qui n’a pas d’analogie en Italie, sans parler enfin de ces éblouissantes verrières qui resplendissaient dans toutes nos églises, n’y avait-il pas dans la sculpture, et même dans la peinture contemporaine, une certaine bonhomie, un certain accent de vérité, d’expression et de sentiment, que les plus grandes incorrections ne pouvaient faire méconnaître ? Eh bien ! C’étaient lettres closes pour ces coryphées des écoles d’Italie ; la routine et les règles de convention leur offusquaient si bien l’esprit que ces dons naturels dont ils étaient déshérités, ils ne pouvaient les apprécier ni même les apercevoir.

Toutefois, malgré son grand dédain pour nos artisans français, le Rosso fut contraint, par ordre du roi, d’en prendre un certain nombre à son service, et de les admettre dans sa colonie italienne. Leur éducation fut bientôt faite ; les pratiques d’ateliers ne sont pas de grands