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taires, et nous glorifions la ligue, qui a justifié la Saint-Barthélemy. Nous parlons de tolérance et nous glorifions la ligue, qui a proscrit toute liberté de conscience, qui a voulu l’inquisition. Sainte et glorieuse ligue ! disait au commencement de cette année même M. l’abbé Lacordaire, dans cette chaire de Notre-Dame où, depuis Guincestre et Boucher, aucune voix ne s’était élevée pour évoquer les sanglans souvenirs de l’union, et l’éloquent dominicain ajoutait : « Quand on sauve la nationalité d’un peuple, tous les crimes vont se perdre dans la gloire. » Lorsque les septembriseurs égorgeaient les prisonniers de l’Abbaye, ils travaillaient aussi à leur manière à sauver la nationalité française. Je doute fort néanmoins que M. Lacordaire fasse, aux stations du prochain carême, l’oraison funèbre des septembriseurs. Il y aurait cependant, entre les deux apologies, une certaine relation logique. N’est-il pas déplorable de voir ainsi les hommes du clergé les plus éminens en talens et en vertus disposés à rentrer toujours, d’une manière plus ou moins détournée, dans l’arène de nos passions politiques ? Ils devraient se souvenir cependant de ce verset, connu même des profanes : Quand on sème du vent, on récolte des tempêtes. N’est-il pas déplorable qu’en dehors du clergé des hommes d’un esprit étendu et d’une instruction solide, comme M. Lenormant, se laissent prendre à ces dangereux paradoxes, et qu’ils proclament, à propos du saint-office ou de la Saint-Barthélemy, la théorie des rigueurs salutaires ? Quelques pas encore, et les plus honnêtes gens du monde, les érudits les plus inoffensifs, en arriveront à dire du catholicisme ou du progrès ce que Saint-Just disait à propos de la liberté : C’est une rose qui fleurit dans le sang. Du reste, c’est là une manière de voir qui ne date pas d’hier, et M. de Pibrac, le très moral auteur des quatrains, trouvait aussi la Saint-Barthélemy fort de son goût.

Singulière époque, que celle où nous vivons ! On assure que nous sommes en progrès, que l’humanité marche vers le pôle de l’avenir, et cependant il me semble qu’en bien des points nous ne sommes guère plus sages que nos turbulens aïeux de la ligue. Justifier leurs folies et leurs crimes, n’est-ce pas avouer implicitement qu’on les imiterait au besoin ? n’est-ce pas retomber à leur niveau ? C’est à se croire parfois au XVIe siècle. Même impatience de ce qui est, même aspiration vers un avenir nouveau, même confusion dans les croyances politiques ou religieuses, et, comme au temps de la Ménippée, quand l’un veut de la pluie pour ses choux, l’autre veut du soleil pour ses blés.


Histoire de la Formation de la Langue française, par M. J.-J. Ampère. — Depuis le président Fauchet jusqu’à La Tour-d’Auvergne, l’étude des origines et des vicissitudes de notre langue a préoccupé vivement la curiosité des érudits ; mais les philologues n’avaient donné jusqu’à présent que des solutions très incomplètes, et le plus souvent contestables. Dans ses prédilections d’helléniste, Henri Estienne, ce maître prodigieux, ne reconnaissait que la langue grecque comme source légitime et directe du français moderne. Ménage, plus ouvert, admettait le latin comme branche collatérale dans cette généalogie des mots ; mais son horizon, ainsi que le panorama de