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en liberté dans les hautes vallées des Alpes ; des villes importantes, des territoires étendus avaient accédé à la confédération, et devaient en avoir changé la nature.

Malgré ces puissantes considérations, l’esprit de la vieille Suisse résista avec tant de force, que toute idée d’une forte constitution fédérale ne put s’y introduire avant la révolution de 1789. Depuis, plusieurs efforts ont été tentés pour en établir une, mais avec peu de succès. La tentative faite par la révolution française ne compte pas ; elle était trop violente et trop excessive pour avoir la moindre chance de succès. L’acte de médiation de Bonaparte fut un progrès, mais qui fut imposé à la Suisse, et dont elle se délivra dès qu’elle le put. Le pacte de 1815 même fut longtemps repoussé par les cantons primitifs comme portant atteinte aux souverainetés cantonales. Depuis 1830, un nouveau projet de pacte fédéral a été discuté, mais il n’a pu arriver à terme. L’idée de constituer plus réellement l’unité nationale de la Suisse est une de ces idées qui ne peuvent être populaires. Elle ne sert ni les passions radicales ni les passions aristocratiques ; elle doit, au contraire, soulever contre elle tous les partis locaux dont elle comprimerait l’action. Elle ne peut faire son chemin que lentement, dans les esprits élevés et prévoyans ; encore est-il fort à craindre que, si elle n’est pas favorisée par les circonstances, elle ne parvienne pas à se réaliser.

L’affaire des couvens d’Argovie, dont il nous reste à parler, soulève à la fois les trois questions intérieures de la Suisse, question politique, question religieuse, question fédérale, et c’est ce qui en a fait l’importance.

Avant 1798, l’Argovie était, comme nous l’avons déjà dit, un pays conquis et sujet de Berne. Il ne pouvait pas s’y trouver d’aristocratie puissante et formée de longue main, puisque le pays n’avait pas eu, avant d’être affranchi par les Français et constitué en canton indépendant, le libre gouvernement de lui-même. On ne trouve d’ailleurs dans ce canton aucune ville assez considérable pour devenir un foyer permanent d’influences politiques. La révolution y était donc faite sans effort après 1830, et le nouveau gouvernement, né de l’impulsion la plus populaire, n’avait rencontré aucun obstacle sérieux à son établissement. Mais si la politique ne pouvait pas être par elle-même une cause bien vive de lutte, elle l’est devenue par la religion. Sur cent soixante mille habitans dont se compose la population du canton, quatre-vingt-dix mille sont protestans et soixante-dix mille sont catholiques. Les protestans, comme les plus nombreux, avaient