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eux vinrent Zug, Fribourg et Neuchâtel, qui écrivirent dans le même sens. Aux termes du pacte, la déclaration de cinq cantons suffit pour que la convocation d’une diète extraordinaire soit obligatoire. Le vorort convoqua donc la diète pour le 15 mars. C’était déjà un préliminaire important pour le triomphe définitif de la bonne cause que cette réunion d’une diète extraordinaire ; il était même à remarquer que l’appel à la juridiction fédérale était venu de ceux qui se sont montrés en toute occasion les plus obstinés défenseurs des souverainetés cantonales. Il fallait que l’injustice commise par l’Argovie fût bien flagrante pour avoir mené jusque-là ces cantons. On aurait tort néanmoins de croire que la question fût décidée par cela seul : six cantons sur vingt-deux étaient loin de former la majorité. Plusieurs cantons, et des plus importans, paraissaient indécis ; d’autres prenaient ouvertement la défense d’Argovie. On opposait à l’article 12 du pacte, protecteur des couvens, l’article 1er, qui établit la souveraineté de chaque état dans ses affaires intérieures. La plupart des hommes politiques de la Suisse reconnaissaient bien que le gouvernement d’Argovie n’avait pas le droit de prononcer la suppression générale des couvens, mais ils lui reconnaissaient en même temps le droit de fermer ceux qui étaient des foyers avérés de révolte. Une polémique très vive s’engagea dans les journaux sur toutes ces questions.

Un incident survint qui faillit tout compromettre en mettant du côté d’Argovie des passions légitimes. La diplomatie s’était émue. Tous les ministres présens à Berne avaient eu soin d’informer leurs cours de la situation critique de la Suisse. Le nonce du pape, monseigneur Ghizzi, s’était empressé d’adresser au vorort une protestation contre la suppression des couvens. Cette protestation était conçue en termes très modérés, mais qui laissaient entrevoir une intervention possible de l’Europe dans les affaires intérieures de la Suisse. On savait d’ailleurs qu’elle avait été communiquée par le nonce aux représentans des deux grandes puissances catholiques auprès de la confédération, M. le comte Mortier, ambassadeur de France, et M. le comte de Bombelles, ministre d’Autriche. Ces deux puissances, la France et L’Autriche, sont depuis long-temps en possession de la principale importance diplomatique en Suisse. La question de la conduite que suivraient leurs agens préoccupait extrêmement l’opinion publique. Il ne pouvait pas y avoir de doute sur le jugement que les deux gouvernemens porteraient sur l’affaire en elle-même ; la violation du pacte fédéral était évidente, et le décret argovien trop injuste pour qu’il pût être approuvé par aucun homme raisonnable en Eu-