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DE LA CRISE ACTUELLE EN ANGLETERRE.

radicale présentait le tableau exact et frappant de ces orgies politiques où corrupteurs et corrompus se dégradent également, et à ce tableau il ajoutait un compte approximatif de ce qu’il en coûte presque nécessairement aux candidats pour frais de hustings, d’affiches, de bannières, de tavernes, de musique, de voitures, d’agence, enfin pour dons divers et pour achat de votes ; rien de plus vrai. Ce qui est faux, c’est de vouloir expliquer par là le résultat des élections. Encore une fois, la corruption est une arme à l’usage de tout le monde, et dont personne n’hésite à se servir. Le jour même où la chambre des communes discutait avec la plus admirable gravité du monde un bill pour interdire toute corruption, tous les journaux n’annonçaient-ils pas, à titre d’éloge, que le duc de Cleveland venait de mettre 100,000 liv. st. à la disposition du comité whig ? N’a-t-on pas lu depuis, dans les feuilles réformistes, qu’un de leurs candidats ayant déposé 15,000 liv. st. dans la banque d’une petite ville, le candidat tory avait aussitôt jugé prudent de se retirer ? Ne disait-on pas, ces jours derniers encore, que l’élection de sir Jonh Hobhouse à Nottingham ne lui coûterait pas moins de 50,000 liv. st. ? Que ces chiffres soient exagérés ou faux, il n’en reste pas moins prouvé que des deux côtés il y a des candidats pour acheter les votes, et des électeurs pour les vendre. En 1832, quand lord Grey, pour faire passer le bill de réforme, prononça la dissolution de la chambre des communes, les tories ne dépensèrent pas moins d’argent qu’en 1841, et cependant, malgré l’appui, qu’ils n’ont plus, des bourgs pourris, des vieilles corporations et de la couronne, ils furent complètement battus. C’est que l’opinion publique s’était alors passionnée pour le bill de réforme, et qu’en dépit de toute la corruption du monde, quand l’opinion publique se passionne dans un pays libre, elle sait toujours se faire jour et imposer sa loi.

Si l’on veut être sérieux, il faut donc chercher ailleurs que dans la corruption la cause du succès des tories et de la chute des whigs.

Il est d’abord un fait important à remarquer, c’est que le bill des sucres, le bill des bois de construction et le bill des céréales avaient surtout pour but, dans la pensée du ministère, de déplacer le champ de bataille, et d’empêcher que le combat électoral ne se livrât sur le terrain où luttent depuis cinq ans les réformistes et les conservateurs. Une telle tactique était habile peut-être ; mais, pour qu’elle réussît, il fallait plus de temps. C’est sur le terrain de l’église et de l’Irlande que les partis se sont enrôlés, organisés, disciplinés. C’est sur ce terrain qu’ils n’ont cessé, depuis plusieurs années, de se livrer des