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combats acharnés. Comment croire qu’ils pussent en un jour rompre leurs rangs et former, au fort même de la crise, des agrégations toutes nouvelles ? Comment croire que la question des céréales, la seule vraiment grave, eût la puissance de faire oublier soudainement tant d’autres questions qui avaient soulevé de part et d’autre des passions si ardentes ? Il n’en fut pas ainsi, même dans la chambre des communes, et le jour où la question ministérielle se posa, à sept ou huit whigs près qui s’abstinrent, chacun reconnut la voix de son chef, et resta fidèle à son drapeau. Il était naturel que les choses se passassent de même dans le pays, et qu’à un fort petit nombre de défections près, les partis se retrouvassent relativement aussi nombreux et aussi forts qu’avant les trois mesures. Or, avant les trois mesures, tout le monde sait qu’en Angleterre au moins, une majorité notable était assurée aux tories.

Cependant, je le reconnais, si les trois mesures eussent produit sur l’opinion publique tout l’effet que le ministère en attendait, elles eussent pesé sur les élections, et, comme en 1832, élevé la majorité. Pourquoi n’en fut-il pas ainsi ? Je l’ai dit ailleurs, et il est bon de le répéter : on se trompe singulièrement quand, par voie d’analogie, on attribue à l’Angleterre les idées, les mœurs, les sentimens égalitaires de la France. En Angleterre, l’aristocratie territoriale a de profondes racines même dans les classes non aristocratiques, et la propriété foncière, objet de l’ambition de tous, jouit d’une faveur presque générale. Chaque propriété, dans son ensemble, est en quelque sorte, ainsi que M. de Beaumont l’a spirituellement remarqué dans son livre sur l’Irlande, une personne vivante que l’on aime, que l’on respecte, et qu’on ne verrait périr ou mutiler qu’avec regret et douleur. Un bill nuisible à la propriété foncière devait donc, dès le début, rencontrer beaucoup d’ennemis dans toutes les classes et toutes les situations. Mais je vais plus loin, et je demande combien en France même il y a de députés qui comprennent bien le grand principe proclamé par lord John Russell, celui de la liberté des échanges. Chaque fois qu’il est question d’ouvrir nos ports aux produits du dehors, n’entend-on pas dire qu’on va rendre la France tributaire de l’étranger, et frapper de stérilité le travail national ? Qu’il soit question des fers ou des blés, des draps ou des bestiaux, le raisonnement est le même, et toute réforme se trouve repoussée d’avance par cette éternelle fin de non-recevoir. En 1832 il n’a fallu rien moins qu’une disette pour faire modifier timidement une loi des céréales qui ressemblait beaucoup à celle de l’Angleterre.