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DE LA CRISE ACTUELLE EN ANGLETERRE.

Quant à l’indifférence de la masse de la population, elle est incontestable. À Liverpool, la querelle déjà ancienne des Irlandais et des ouvriers du port a causé quelques désordres ; mais dans toutes les grandes villes manufacturières comme dans les comtés les plus populeux, à Londres, à Manchester, à Birmingham, à Leeds, à Glascow, comme dans le Yorkshire et le Cheshire, tout s’est passé régulièrement et paisiblement. Si on cite plusieurs villes où des batailles ont eu lieu, où des maisons ont été démolies, où des hommes et même des femmes ont péri, ce sont en général des villes de peu d’importance, où les candidats avaient enrôlé et payaient une partie de la population, et là même il est constant que les habitans non soudoyés restaient tranquilles et regardaient faire. Que l’on se reporte à 1832, lors du bill de réforme, et que l’on compare aux deux époques l’attitude du peuple.

Maintenant comment expliquer cette indifférence ? Est-ce, ainsi que le prétendent les tories, parce que le peuple satisfait ne demande pas en ce moment de nouvelles réformes ? Est-ce, ainsi que le soutiennent les radicaux, parce qu’il n’espère pas plus des whigs que des tories, et qu’il lui importe peu que le pouvoir appartienne aux uns ou aux autres ? Quoi qu’il en soit, le fait existe, et les journaux whigs eux-mêmes osent à peine le nier.

Que le parti conservateur doive sa majorité à telle ou telle cause, toujours est-il que la majorité lui appartient, et que huit jours après l’ouverture du parlement sir Robert Peel sera premier ministre. Comment gouvernera-t-il et quelles sont ses chances de durée ? voilà au point où en sont les choses, la grande, l’unique question. Avant de l’aborder, il est bon de jeter un regard sur le personnel probable du nouveau ministère. Ce ministère se composera, selon toute apparence, de sir Robert Peel, premier ministre, de lord Stanley, de sir James Graham, de lord Lyndhurst, de lord Aberdeen, peut-être du duc de Wellington et de lord Ripon. On parle ensuite, mais en seconde ligne, de lord Ellenborough, de M. Goulburn, de sir H. Hardinge et de quelques autres. Laissons ceux-ci, et ne nous occupons que des premiers.

On sait que sir Robert Peel, fils d’un manufacturier enrichi, n’appartient point par sa naissance à l’aristocratie anglaise ; mais, destiné dès l’enfance à la vie politique, il entra au parlement dès qu’il fut majeur, et à vingt-quatre ans, en 1812, il était secrétaire d’état pour l’Irlande. En 1818, par des raisons plus personnelles que politiques, il quitta ce poste important, sans cesser de soutenir le ministère