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à la France méridionale, puisque c’était surtout dans la Méditerranée et sur les côtes de cette mer que les corsaires d’Alger faisaient leurs expéditions[1].

Je trouve le même résultat dans un état de la marine algérienne en 1588, donné par Pierre Dan dans son Histoire de Barbarie et de ses corsaires, et cité par M. Baude[2]. Cette marine se composait alors, outre quelques frégates, de 35 galères ; et, sur ces 35 galères, 14 seulement avaient pour propriétaires des Turcs et des Algériens ; 20 appartenaient à des renégats européens, dont 13 italiens, 3 grecs, 2 espagnols, 1 hongrois, 1 français ; une seule appartenait à un juif. Ainsi la marine algérienne était européenne pour moitié au moins.

Quand aux renégats, ils serait curieux de chercher comment l’Europe a, pour ainsi dire, renouvelé et entretenu elle-même, par ses renégats, les puissances mahométanes voisines et ennemies de l’Europe, et quelles sont les nations qui ont fourni le plus de recrues dans ce contingent. Ce que je remarque, c’est que la Turquie et les états barbaresques, qui se recrutaient ainsi de renégats européens, n’ont jamais, par cela même, été des puissances purement orientales, ni qui tirassent toute leur force de l’Orient ; c’étaient des puissances intermédiaires entre l’Europe et l’Asie, empruntant quelque chose aux deux pays, à l’Asie sa religion, et à l’Europe, par l’apostasie, l’activité de sa race ambitieuse. Les janissaires, cet antique soutien de l’empire turc, étaient, au temps surtout de leur fondation, des enfans chrétiens élevés au métier des armes et dans l’islamisme. Ces enfans chrétiens étaient en général enlevés dans la Macédoine et dans la Thessalie, dans la Servie et dans la Bulgarie, dans l’Albanie surtout, où l’apostasie est en quelque sorte une institution du pays, et où l’homme passe tour à tour du christianisme au mahométisme et du mahométisme au christianisme, sans aucun souci ni aucun scrupule. C’était sans doute aussi de la Macédoine, de la Thessalie, de l’Albanie, etc., que venaient ces six mille familles de renégats que Cramaye comptait à Alger, car il les désigne comme venant de la Turquie. Je vois, il est vrai, treize renégats italiens parmi les patrons des galères algériennes en 1588 ; mais cela tient à ces nombreux rapports établis par la nature entre l’Afrique et l’Italie, et dont nous retrouvons partout le témoignage. Si l’Espagne, à cette époque, n’a que deux renégats, quoique l’Espagne ait encore avec l’Afrique

  1. Baude, tom. Ier, pag. 73.
  2. Tom. ii, pag. 191.