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Cet état de choses est plein de dommages pour nous ; nous empêchons le bien et nous nous faisons du mal. Nous empêchons le bien : en effet, les tribus de l’Afrique ont besoin, pour vivre, de communiquer entre elles, et d’échanger leurs produits, qui sont divers selon la nature diverse des sols. On peut croire aussi que plus la nature matérielle semble vouloir isoler les tribus de l’Afrique en les séparant les unes des autres par des intervalles de désert, plus la nature morale des hommes fait effort pour se rapprocher les uns des autres et satisfaire à l’instinct de la sociabilité, instinct qui règne chez les peuples nomades comme ailleurs, et qui, si chez eux il ne crée pas des viles, crée les pèlerinages qui sont les rendez-vous religieux et les foires qui sont les rendez-vous commerciaux. En troublant l’habitude de ces rendez-vous, nous avons fait que les tribus arabes n’ont plus eu que la guerre pour ressource, pour occupation, j’allais presque dire, pour plaisir ! Non que je veuille accuser le gouvernement d’avoir interrompu par malveillance la circulation des caravanes ; nous l’avons interrompue par ignorance, et faute d’avoir étudié l’influence que les caravanes peuvent avoir sur la paix du pays. Nous sommes arrivés, disons-le, à Alger sans nous être préparés, par l’étude de l’Orient, à cette conquête tout orientale ; aussi faisons-nous aujourd’hui notre éducation par nos fautes. Cette éducation n’est pas la plus mauvaise de toutes, mais c’est la plus coûteuse.

Qu’il me soit permis de citer à ce sujet, d’après M. Baude, un exemple de Napoléon en Égypte. « À peine débarqué en Égypte, Napoléon apprit que la caravane, de retour de la Mecque, était menacée dans les environs de Suez par les Bédouins et les Mameluks ; il envoya sur-le-champ, pour la protéger, une division à sa rencontre. Parvenues au moment du pillage, nos troupes reprirent les objets enlevés à la caravane, les lui firent restituer, et, des côtes de la mer Rouge à celles de l’Atlantique, les pèlerins proclamèrent dans toute l’étendue de la terre de Magreb que les Français les avaient délivrés du brigandage des musulmans. Cet acte, placé au début de l’expédition d’Orient, est un de ceux qui en ont le plus facilité le succès. » En citant ce fait, à Dieu ne plaise que j’attribue à Napoléon cette divination universelle qu’il est de mode de lui reconnaître aujourd’hui ! Ce fétichisme napoléonien, qui ne peut plaire qu’à ceux qui se font les grands-prêtres du fétiche, m’a toujours répugné. Ce que je veux dire seulement, c’est que, l’expédition d’Égypte étant un projet conçu d’avance, nous avions pris la peine de nous y préparer par quelques études sur les mœurs du pays, et les savans de l’expédition d’Égypte