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traversant tant de mœurs et d’usages différens. Ne nous étonnons pas maintenant que l’arrivée des caravanes soit un évènement et une époque dans les diverses stations où elles s’arrêtent. Elles apportent des marchandises pour satisfaire aux besoins et aux goûts des tribus ; elles apportent des récits et des nouvelles qui plaisent à la curiosité. Tout cela explique l’importance des caravanes en Orient et combien tout ce qui y touche, les routes, les stations, les temps de départ et d’arrivée, les marchandises qu’elles prennent ou qu’elles déposent çà et là, méritent d’être étudiés avec attention. Savoir tout cela, c’est savoir les prises que nous avons sur le pays ; l’ignorer, c’est s’exposer à le choquer, et à le pousser à la guerre sans le vouloir.

Cette longue route qui fait le tour de l’Afrique septentrionale de Maroc à la Mecque, indiquée par Hérodote et par Édrisi le géographe arabe, à deux mille ans de distance, c’est la religion et le commerce qui l’ont ouverte, dans l’antiquité, car l’Égypte, avec la renommée de son culte et de ses arts, attirait les caravanes du fond de l’Afrique septentrionale ; et pour celles qui ne voulaient pas aller jusqu’en Égypte, l’oasis d’Ammon, entre l’Égypte et la Libye, était un lieu de pèlerinage pour les dévots et un rendez-vous pour les marchands. Le temple de Jupiter Ammon était un lieu divin entre tous les lieux divins de l’antiquité, plein d’un mystère qu’il devait à son éloignement, et peut-être à ses liens avec ce monde de l’Afrique centrale, dont les anciens ne connaissaient que l’or et les esclaves noirs, deux choses fort propres à exciter les imaginations ; c’est ce mystère qui valut à Jupiter Ammon la visite d’Alexandre, qui, voulant être plus qu’un homme à une époque où les hommes commençaient à moins croire aux dieux, cherchait à être quelque peu divin à force d’être extraordinaire ; car à certaines époques le goût de l’extraordinaire remplace dans l’esprit de l’homme l’idée de la religion. Après l’Égypte et Jupiter Ammon, la Mecque a continué jusqu’à nos jours d’attirer sur la route que nous étudions le commerce et la dévotion. Seulement nous n’en profitons pas, et la circulation du monde africain s’accomplit presque sous nos yeux, sans nous et contre nous.

Nos mains maladroites ont rompu, dans l’Algérie, les mailles du vaste réseau que les caravanes étendaient à travers le désert depuis les régences barbaresques jusqu’au sein de l’Afrique centrale. Il y a cependant encore quelques fils que nous pouvons renouer, et M. Baude les indique avec soin. Ainsi, par une heureuse rencontre, du pays qui est dans l’Algérie l’entrepôt et la station nécessaire des caravanes, sort tous les ans une population qui vient servir à Alger comme font