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lui ; de plus, ces monopoles étaient contraires aux intérêts des Arabes, qui, fiers de leur vieille indépendance nomade, n’entendaient pas se laisser dépouiller comme les fellahs de l’Égypte. Abd-el-Kader vit le danger et renonça aux monopoles ; mais du même coup il interdit le commerce avec les Français. Il avait espéré être le seul qui commercerait avec les infidèles, et par là il comptait s’enrichir sans s’affaiblir. Ses calculs étant trompés, et la paix, à l’aide du commerce qui restait libre, grace à l’esprit indépendant des Arabes, la paix détruisant son pouvoir, il courut à la guerre. Cette conduite nous enseigne ce que nous devons faire.

Achmet-Bey, dans la province de Constantine, avait de même défendu aux Arabes, sous peine de mort, de faire avec nous aucun commerce. Le commerce en Afrique est donc notre allié ; seulement il nous faut prendre la peine de connaître les goûts et les usages de cet allié ; il faut l’encourager et le soutenir[1].

Je voudrais, en finissant, indiquer d’une manière précise l’idée générale à laquelle se rattachent les diverses réflexions que je viens de faire sur la population, l’organisation religieuse et le commerce de l’Algérie.

Nous sommes en Afrique : le hasard et la victoire nous y ont conduits ; l’honneur et l’instinct de l’avenir nous y retiennent. Restons-y donc ; mais restons-y aux conditions qui sont naturelles à l’Afrique et à l’Orient. Or, une des conditions de l’Afrique septentrionale, une des lois de sa nature, c’est de communiquer par les caravanes avec l’Afrique intérieure. Quiconque en Afrique n’aura pas le désert pour soi, quelque vide et faible que semble le désert, ne conservera pas long-temps la puissance. Et ce désert, qui garde, pour ainsi dire, un des talismans de l’empire en Afrique, ce désert, n’espérez pas l’avoir par la force : il ne se gagne que par le commerce. Ce com-

  1. M. Baude cite un exemple curieux du besoin et du goût irrésistible que les tribus arabes ont pour le commerce :

    En 1637, les Turcs d’Alger avaient détruit nos établissemens de la Calle ; ils avaient réduit nos marchands en esclavage et pillé leurs magasins. À la même époque, ils faisaient aussi la guerre aux tribus arabes des environs de Constantine. Ces tribus, ayant dressé une embuscade aux janissaires du dey, parvinrent à les cerner et à les affamer. Les janissaires aimant mieux capituler que de mourir de faim, invoquèrent la médiation d’un marabout très vénéré dans le pays, qui conclut la paix entre les Turcs et les Arabes ; mais les Arabes, qui le croirait ? imposèrent aux Turcs l’obligation de rebâtir le bastion de France, parce que, disait le traité, c’était là que les Arabes allaient vendre et acheter leurs marchandises. Ainsi l’esprit du commerce l’emportait même sur la religion !