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noirs, » zinkalès (Hind-kalès), « les Hindous noirs, » n’en est que la désignation vulgaire. De là cette attention minutieuse à conserver le dialecte primitif de l’Hindoustan, si ce n’est avec ses flexions et sa syntaxe, du moins dans ses racines nécessaires. À peine le mot roma frappe-t-il l’oreille d’un de ces nomades, tout ce qu’il y a d’enthousiasme et d’amour dans ce cœur barbare et corrompu s’éveille. Ce mot, c’est la patrie, c’est le souvenir, c’est le culte, c’est la richesse pour des hommes qui n’ont ni richesse, ni culte, ni patrie.

M. Borrow, dans son voyage chevaleresque à la recherche des débris de cette caste égarée, reproduit sans cesse la même expérience, qui jamais ne manque son effet. Debout sur la porte d’une auberge, et voyant passer deux gitanes couvertes de guenilles, il prononce la parole magique, et elles accourent. Leurs regards sauvages s’arrêtent sur lui, et elles s’écrient ensemble dans leur patois : Que nous t’aimons ! C’est un frère. Armé de ce talisman, et sachant l’idiome des gypsies, il erre dans les bois, il s’assied près du foyer d’ossemens et de branches sèches que les sorcières alimentent ; il fait route avec un assassin de la caste des kalès, et il ne craint rien. Ces gens, qui se font un mérite d’égorger et de piller les boussnés, les païens, les étrangers, les hommes à sang blanc, lui prodiguent les soins et l’amitié, l’accompagnent, l’écoutent, supportent ses avertissemens et ses sermons, et se transforment, pour lui plaire, en traducteurs et en gens de lettres. Heureusement, il connaît d’avance les mœurs et les idées de ses étranges compagnons ; point de galanteries adressées aux jeunes kalis ; surtout point de dénonciation contre les bandits. Ces précautions une fois prises, il se trouve dans sa famille ; c’est un londoné kalé, un Indien noir anglais, et son frac noir, sa Bible, sa montre d’or et son portefeuille n’ont rien à redouter.

Nous ne reprochons pas comme une faute grave à M. Borrow de n’avoir pas établi avec soin ces déductions curieuses. Le philosophe ou le philologue aurait bien pu gâter, par quelque théorie plus ou moins absurde, l’ingénuité des observations, et sacrifier à je ne sais quel arrangement théorique les charmantes et fortes couleurs qui émanent de la réalité, couleurs qui rappellent en plus d’un endroit les teintes chaudes et solides de Decamps ou de Rembrandt. Il aurait pu sans doute, comme grammairien, soumettre à un travail plus complet et à un examen plus satisfaisant les divers patois de la langue indienne que parlent aujourd’hui les bohémiens de toute l’Europe. Au lieu de nous abandonner ce travail, il aurait