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élégamment classique, dans laquelle le Temps, l’Histoire et une troisième figure sont heureusement groupés. Enfin, c’est encore un charmant petit tableau que cette Adoration de la Vierge, gravée en miniature comme frontispice d’un office à l’usage des chartreux (diurnale cartusiense). Mais, dans toute cette collection de gravures d’après les dessins de Lesueur, celle qui porte le cachet le plus original et qui peut le mieux faire sentir tout ce qu’il y avait de neuf, de spontané, d’individuel dans ce suave génie, c’est un portrait de la Vierge porté par les anges, composition qu’il avait faite probablement pour quelque communauté de femmes : on ne trouve pas d’indication. Deux grands anges tiennent suspendu le portrait de la Vierge, que trois petits chérubins gracieusement groupés font effort pour soutenir ; d’autres chérubins semblent jouer dans les angles du tableau avec des images représentant certains symboles des litanies. Tout cela est disposé avec clarté, simplicité, sans recherche ni confusion ; puis dans le milieu, la figure de la Vierge brille d’un éclat radieux : ce n’est pas la Vierge de Raphaël, encore moins celle du Carrache ou celle du Guide. Dans cette tête, ce n’est pas la beauté qui domine, mais l’expression ; c’est une jeune fille chaste, pensive, un peu fière, et pourtant c’est bien aussi la Vierge : son front rayonne de sainteté.

Ces thèses, ces frontispices et tous ces dessins de librairie, n’étaient pour Lesueur que des passe-temps plus ou moins lucratifs mais il s’occupait en même temps à peindre un assez grand nombre de tableaux. C’est vers cette époque qu’il doit avoir exécuté presque tous ceux qui depuis sont passés en Angleterre, dans les galeries de lord Houghton, de lord Besborough, et dans la collection du duc de Devonshire[1], car c’est dans ces tableaux qu’on remarque la trace la plus visible des conseils encore récens de Poussin.

Mais bientôt il devait entreprendre la plus grande œuvre de sa vie. Ses habitudes de piété l’avaient depuis assez long-temp mis en rapport avec le prieur des chartreux : celui-ci faisait restaurer le petit cloître de son couvent, qui, dès l’an 1350, avait été peint à fresque, et dont on avait déjà renouvelé les peintures une première fois en 1508. Les nouvelles réparations exigeaient ou qu’on blanchît les murailles ou qu’on les peignit de nouveau. Il fut décidé qu’on devait les peindre, et ce fut à Lesueur qu’on en confia le soin.

  1. Le Moïse abandonné sur les eaux, l’Agar chassée par Abraham, la Nuit des Noces de Tobie, la Reine de Saba devant Salomon, plusieurs Saintes Familles, etc., etc.