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pays qui a peut-être deux cents lieues de long. Ô douce et touchante puissance des souvenirs de la jeunesse et des charmes de la famille ! Dans ce moment-là peut-être, plus d’une femme affligée, plus d’une mère ou d’une sœur parlait d’eux, et demandait tristement ce qu’ils pouvaient être devenus ; et les pauvres naufragés oubliaient à l’extrémité du monde l’horreur des nuits et des glaces boréales, pour revivre par la pensée dans les lieux qu’ils ne devaient guère espérer de jamais revoir.

Dans les premiers jours de janvier, le froid diminua beaucoup. Lorsqu’il y avait un bon feu dans la cabane, on voyait de grands morceaux de glace tomber des cloisons, mais pendant la nuit tout gelait comme par le passé. Le 24, Heemskeerke et de Veer, étant sortis, crurent voir surgir un côté du globe solaire, et accoururent en toute hâte annoncer à leurs compagnons cette heureuse nouvelle. Trois jours après, l’équipage entier eut la joie de contempler cette clarté vivifiante dont il avait été privé si long-temps. Mais le bonheur des Hollandais fut bientôt troublé par l’apparition des ours, qui s’étaient éloignés dans le temps des longues nuits, et qui revinrent avec les premiers rayons du soleil, plus voraces, plus terribles que jamais. C’étaient chaque jour de nouvelles terreurs, de nouvelles luttes, et nul homme n’aurait osé sortir seul et sans armes, de peur de tomber victime d’une de ces bêtes féroces.

Peu à peu cependant il s’opérait un changement notable dans la température, les nuits étaient moins sombres, les brumes épaisses ne voilaient plus que par intervalles la clarté du soleil, et l’espoir rentrait dans tous les cœurs. Déjà les naufragés tournaient avec moins d’anxiété leurs regards du côté de la mer, ils voyaient les montagnes de glace s’amollir, s’affaisser, se fondre, ils se voyaient déjà eux-mêmes montant sur leur navire, et voguant à pleines voiles vers le Zuyderzée.

Mais le navire était tellement disloqué, qu’on ne pouvait plus songer à s’en servir. Il fallait essayer de remettre la chaloupe et la barque en état de naviguer, et c’était une rude tache. La petite colonie se composait en tout de seize hommes, la plupart tellement affaiblis par la souffrance et les privations de toutes sortes, qu’à peine pouvaient-ils manier la scie ou la hache. La neige, le froid, ajoutaient encore à la difficulté de leur travail ; ils n’avaient d’ailleurs que des instrumens rouillés, des lambeaux d’étoffe pour faire des voiles, et des arbres mal taillés pour faire des mâts. Ils se mirent cependant avec courage à l’œuvre, car il y allait de leur salut. Leur capitaine