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Paul n’est tout simplement que la foi à la divinité et à la parole de Jésus-Christ : Fides ex auditu, auditus autem per verbum Christi. Mais comment résister au désir de se donner un tel soutien ?

M. de Bonald voulait prouver deux choses : que les hommes n’ont pas inventé le langage, et qu’ils n’auraient pas pu l’inventer. De ces deux propositions, la première est tout aussi douteuse après la démonstration qu’auparavant, et la seconde, qui pouvait seule avoir quelque importance pour le but qu’on poursuivait, est purement et simplement une erreur. M. de Bonald n’a réussi qu’à amonceler des nuages. Il s’est fait illusion à lui-même et est parvenu à tromper quelques esprits faciles qu’auront surtout alléchés les conséquences qu’il leur promettait contre la philosophie et les doctrines libérales ; rien n’est d’ailleurs plus aisé que de frapper les imaginations par l’étalage de difficultés très réelles, qu’on transforme peu à peu en impossibilités. Les chapitres de M. de Bonald sur l’origine du langage ont obtenu un honneur assurément bien rare : ils ont converti un diplomate à la foi catholique ! Si M. le comte de Senft avait lu Bossuet, il y aurait trouvé des considérations puissantes qui peut-être n’auraient fait que l’effleurer, et la Providence, dans ses voies impénétrables, a mieux aimé se servir, pour opérer cette conversion miraculeuse, des chimères de M. de Bonald. À quoi tiennent les destinées ! Quelques pages de Condillac, « qui tombe quelquefois dans la vérité comme un aveugle trouve par hasard une porte pour sortir, » auraient pu détruire tout l’effet de Recherches philosophiques. Ou mieux encore, il aurait peut-être suffi de lire dans Jean-Jacques Rousseau, cet auxiliaire de M. de Bonald, comme il l’appelait, quelques chapitres de l’Essai sur l’origine des langues, par exemple, celui qui a pour titre : « Que le premier langage dut être figuré, » ou le chapitre second : « Que la première invention de la parole ne vient pas des besoins, mais des passions. » Mais quoi ! toute raison est assez bonne pour des esprits qui ne demandent qu’à croire, et qui sont en quelque sorte convaincus d’avance par le grand désir qu’ils ont de l’être.

M. de Bonald possédait au plus haut degré le pouvoir de s’entêter lui-même des démonstrations qu’il avait faites. Il n’a souvent que des raisons d’une rare faiblesse, et cependant on ne peut douter de la sincérité et de la fermeté de sa conviction. Une pareille disposition est pour celui qui s’y trouve une condition de bonheur et de sécurité ; mais rien n’est plus dangereux pour les opinions qu’il défend. Dans un passage de ses écrits, M. de Bonald entreprend de prouver qu’il n’y