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Ainsi, s’il fallait en croire M. Émile Deschamps, M. Desplaces serait tout un printemps harmonieux, M. Adolphe Dumas nagerait dans un tel océan de gloire, qu’il y aurait place pour tous ses amis, et les vers de M. Boulay-Paty consoleraient de l’enfer. Tout ceci n’est rien cependant auprès de ce passage que je trouve dans une pièce adressée à M. Monnier de la Sizeranne :

C’est alors que, levant son front prédestiné,
Un pâle adolescent, Mozart, Tasse ou Corrège,
Hasarda quelques vers .........

Mozart, Tasse ou Corrège ! Et quel est ce pâle adolescent au front prédestiné ? l’auteur va nous l’apprendre dans une note : M. Anatole de G…, jeune poète qui se fera connaître. Qui se fera connaître, d’accord ; mais n’eût-il pas été plus convenable d’attendre jusque-là ? De toute manière, puisque c’est d’un poète qu’il s’agit, Tasse suffisait ; Mozart et Corrège figurent là comme comparses, l’un pour la cheville, l’autre pour la rime. Sérieusement, il serait temps d’en finir avec ces canonisations littéraires, auxquelles personne ne croit plus, et M. Émile Deschamps moins que personne. Qu’on s’écrive ces choses-là sur un album, qu’on se les dise entre amis, à la cheminée, rien de mieux ; mais il faudrait bien ne pas les imprimer, même dans ses œuvres complètes.

Les traditions ou plutôt les imitations du Romancero passeront toujours à bon droit pour le plus beau titre poétique de M. Émile Deschamps. Nous ignorons jusqu’à quel point cela peut être exact et reproduit fidèlement l’original[1] ; après tout, quand le poète français aurait inventé quelque peu, où serait le grand mal ? Si, comme le dit M. Émile Deschamps dans ses notes, quelques pièces lui appartiennent en propre, ces pièces se fondent tellement dans l’ensemble général, qu’on aurait peine à les distinguer. Ceci soit dit à la louange de cette muse flexible qui sait si bien se ployer à tous les

  1. Ainsi, dès le début, nous trouvons cette strophe :

    Leurs pieds doux comme la soie
    Par l’eau vive sont mouillés ;
    Florinde prend avec joie
    Sa ceinture et la déploie,
    Et dit : Mesurons nos piés.

    Dans l’espagnol, c’est leurs bras que les royales baigneuses mesurent :

    La cava a todas las dijo
    Que se midiesen los brazos
    .