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le corps de l’expédition des chrétiens. Les soldats, exténués de soif et de faim, jetaient leurs armes et mouraient de fatigue. C’est ainsi que les Latins, sans cesse harcelés par les princes d’Iconium, gagnèrent la Cilicie en franchissant les défilés sauvages du mont Taurus ; mais, arrivé près du fleuve Cydnus, qui avait failli être fatal à Alexandre, le prince croisé, faible et blessé, tenta le passage à gué, et fut emporté par les eaux. L’armée sans chef se dispersa et périt en détail ; bien peu de croisés arrivèrent au camp d’Antioche. Selon l’historien des croisades[1], la ville d’Ancyre aurait été, à cette époque, entre les mains des croisés, commandés par Bohemond, qui s’en étaient emparés après la bataille de Dorylée ; mais l’armée de Barberousse ne reçut d’eux aucun secours. Les Latins, qui avaient pour ennemis les Grecs et les musulmans, ne purent conserver la ville d’Ancyre ; ils la possédèrent néanmoins pendant dix-huit années, y bâtirent quelques églises, et réparèrent le château. La période qui s’écoula entre la chute des princes seldjioukides et la conquête définitive d’Ancyre par les musulmans, fut un temps tellement rempli de désordres, de guerres entre les émirs chefs de district, que l’histoire de cette province se trouve absorbée par celle des malheurs sans nombre qui affligeaient toute l’Asie mineure. Les Turcs, sous la conduite du sultan Mourad, finirent par se rendre maîtres d’Ancyre, et réunirent cette ville aux conquêtes d’Othman, qui s’étendaient sur toute la côte de la Propontide ; il y avait déjà long-temps que Nicée, Brousse, Kutayah, étaient entre les mains des Ottomans. La puissance qu’ils avaient conquise en Asie ne résista pas aux attaques de ce fléau de l’Orient, qui, après avoir conquis la Bactriane et la Perse, venait fondre sur l’Asie occidentale, en conduisant ses hordes innombrables. Tamerlan avait hâte d’en venir aux mains avec les sultans ottomans ; il avait déjà saccagé plusieurs villes appartenant aux sultans lorsque Bajazet vint au-devant de lui à la tête d’une armée qui avait battu les chrétiens et qui s’était aguerrie par le siége de Constantinople. C’est dans la plaine située au sud-ouest d’Ancyre que se donna cette mémorable bataille dans laquelle Bajazet vaincu tomba entre les mains de Tamerlan.

Ancyre devint la proie des hordes tartares : Brousse, Smyrne, Sébaste, eurent le même sort ; mais les Ottomans reprirent l’offensive quelques années plus tard, et Mahomet Ier réunit Ancyre au patrimoine des enfans d’Othman. Les Grecs, qui avaient suivi la politique

  1. Gesta Dei per Francos, Albert, Aqu.