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la peinture dans une orgie révolutionnaire, brisant en morceaux le sceptre de Lebrun.

Si la tyrannie du goût sous Louis XIV avait enfanté Watteau, ce même Watteau, puis après lui Boucher et toute cette école de boudoirs, à force de liberté licencieuse et de naturel dévergondé, allaient nous ramener sous un autre joug. Le nouveau despotisme ne devait être ni moins pédant, ni moins gourmé que celui de Lebrun, sans avoir comme lui le mérite de la grandeur et de la majesté. Inventé par l’érudition à la vue des premières fouilles d’Herculanum, adopté par la philosophie politique, outré par le fanatisme républicain, ce genre soi-disant antique a fait peser sur nous sa main sèche et glacée pendant plus de trente ans.

Mais l’ennui nous en a délivrés : nous sommes libres aujourd’hui ; chacun suit son chemin comme il veut, quelques-uns avec plus d’éclat que de vérité, d’autres avec une laborieuse conscience. Notre jeune phalange d’artistes voit à sa tête quelques chefs habiles ; il en est un dont les plus grands maîtres auraient envié la main ferme et sûre : que nous manque-t-il donc ? Il nous manque d’être venus moins tard, et surtout d’être moins savans. Pour ceux qui veulent être académiques, rien de mieux que ces trois siècles de peinture qui se déroulent sous leurs yeux : il leur faut des exemples, des patrons, des modèles ; mais pour qui aspire à la vérité, à la simplicité, quel danger que de si bien connaître les moyens qui furent jadis employés pour être vrai et simple ! Quelle tentation d’imiter au lieu de créer, et de tomber ainsi dans cette naïveté intentionnelle et systématique qui n’est, elle aussi, qu’une manière tout comme les formules académiques.

C’est un écueil que n’a pas connu Lesueur : il a été simple, vrai, naïf, parce que sa nature le voulait, jamais de propos délibéré. Il ne s’est pas fait une méthode rétrospective, il ne s’est pas donné je ne sais quel aspect de moyen-âge, il s’est montré tel qu’il était : seul moyen de ne ressembler à personne. Aussi, quand on l’appelle le Raphaël français, on se trompe, si l’on veut dire qu’il fut l’imitateur du grand peintre romain : jamais il n’a imité ses œuvres, mais il a trouvé, par bonheur, la route que Raphaël aurait suivie s’il eût été Lesueur, la voie du vrai beau, c’est-à-dire de l’expression et de la simplicité.


L. Vitet.