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La douceur de l’ame jointe à la persévérance de la conduite a fait de Romilly un phénomène moral. C’était un Genevois et un Anglais, un philantrope et un homme pratique, sir Charles Grandisson dans la vie politique ; c’était l’union singulière de la pratique et de la rêverie, l’esprit des affaires devenu poésie ; une sensibilité aiguisée jusqu’à la finesse la plus maladive, un désir de l’idéal sans cesse aux prises avec les réalités, mais sachant les subir.

Au commencement du XVIIIe siècle, une famille protestante de Montpellier vint s’établir à Londres, non pour y faire fortune, elle abandonnait en France un riche domaine et une maison qui lui appartenait, mais pour vivre au milieu de ses frères de religion et pour adorer Dieu à sa guise. Ce scrupule de conscience, cette délicatesse de sensibilité pieuse, n’avaient pas été provoqués par une persécution directe et violente. La famille, alliée aux La Ferté et aux Monsallier, se soutint à Londres par la probité, la résignation et le travail, mais ne prospéra pas d’une manière éclatante. Ses membres étaient surtout remarquables par la simplicité des goûts, la douceur et l’aménité de l’humeur, la régularité et l’élégance modeste des habitudes. Le père de Romilly, fabricant de cire, puis joaillier, éleva doucement et avec un soin indulgent Samuel, celui dont nous avons à parler, et le laissa suivre les inspirations d’une ame naturellement tendre, mélancolique et se portant avec une émotion ingénue vers le bien et vers le beau. Les premières impressions du jeune homme lui vinrent de Fénelon, d’Adisson et de Jean-Jacques. Ces trois maîtres, l’un plus tendre, le second plus élégant, le troisième plus enflammé et plus dangereux, exercèrent sur le jeune protestant cette influence magique qui trempe le caractère pour l’avenir ; il leur dut cet enfantement de l’ame, cette fécondation de la pensée, qui décident de tout et qui s’opèrent entre la quinzième et la vingtième année. Avant l’adolescence, il était homme par l’excès de la sensibilité morale, devenue faiblesse morbide et lui créant des terreurs et des angoisses. Romilly fondait en larmes à seize ans, si un vieillard paraissait devant lui sur la scène et mourait poignardé ; ce vieillard lui rappelait son père.

Tout le roman intime de la famille Romilly est de cette nature. Il se colore de la même teinte exquise et passionnée que les plus grands et les plus rares écrivains ont quelquefois imitée et reproduite, mais qui est le terme de leur art. Ici la réalité crée l’idéal sans le secours de l’artiste, comme on voit par hasard un ciel de