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devant soi les douze ou quinze volumes de Mémoires qui contiennent les débris et les fragmens de ces désirs, de ces travaux et de ces soins souvent stériles, quand on réfléchit que ce furent là, tout bien compté, quelques-uns des plus nobles et des meilleurs parmi ceux qui nous ont précédés, quand on pense enfin que peu de caractères aussi purs vivent encore aujourd’hui. Ils ont eu foi à l’avenir, et l’avenir les trompait ; que d’erreurs honorables et que d’efforts perdus ! Desservans fidèles de leur religion philosophique ou morale, ils ont été sincères, nobles et dévoués. Ils ont professé le culte du vrai, du bon et du beau. L’Angleterre n’a point refusé à ces rêveurs la couronne populaire ; elle a consacré leur souvenir avec amour. Pour nous, en France, notre vie constitutionnelle est tellement active, violente et en dehors, qu’elle ne semble point admettre de telles pensées ; mais n’aurions-nous point par hasard gâté et corrompu le mode politique que nous avons emprunté à nos voisins ? Nos voisins eux-mêmes, s’ils cèdent à l’impulsion générale de l’Europe et du temps, ne courent-ils pas risque d’altérer cette puissante et magnifique machine politique des Chatham et des Fox, des Burke et des Wyndham, des Pitt et des Canning ?

Dans son état normal, tel qu’il a subsisté pendant la belle époque de l’Angleterre constitutionnelle, le parlement ne représentait pas seulement des bourgs et des comtés, mais des sentimens et des idées. Sa vie morale était là. On y voyait l’art dramatique et la littérature légère sous la forme de Sheridan, l’éloquence philosophique représentée par Burke, la législation par Romilly, les sciences historiques par Mackintosh, la dévotion par Wilberforce. Chaque groupe d’idées, si je puis le dire, chaque faisceau de sentimens vifs et puissans trouvait ainsi son symbole expressif. La régularité systématique et extérieure manquait à cette organisation ; mais l’unité morale et intime y vivait. Il y avait une sève commune et vigoureuse qui circulait dans tous ces rameaux et qui en épanouissait les feuilles et les fruits. On a voulu établir récemment, dans les communes d’Angleterre, un ordre plus strict et plus habilement pondéré ; jamais le parlement britannique ne s’est montré moins riche de talens et d’énergie que depuis cette réforme. C’est que le vieux chêne, noueux et bizarre, mais vivant, est plus réellement beau et s’enorgueillit d’une plus véritable régularité organique que l’arbre factice dont les branches parallèles auraient été créées, non par le développement spontané des forces vives, mais par une géométrie savante.

Si l’on estime que la politique c’est le succès de Figaro, l’on trou-