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WILBERFORCE, ROMILLY ET DUDLEY.

un grand pivot des destinées humaines. C’est là que le renouvellement s’annonce, renouvellement assuré, puisque la mort est toujours une porte vers la vie qui renaîtra. Il s’agit de changer toute la face et tout le fonds du monde social en Europe. Parmi les nations, celle qui a le plus grand besoin que les choses soient conservées et paisibles, c’est la grande commerçante ; elle est ruinée si le désordre dure. La nation, au contraire, qui a le plus vif désir et le plus grand besoin que tout soit changé, c’est la Gaule remuante, épuisée par ses gentilshommes énervés, plus humiliée encore que pauvre, et plus aigrie qu’humiliée. De là le combat. L’Angleterre et la France ne sont point des ennemies naturelles.

Dans le laps de temps occupé par la vie de Wilberforce, de Dudley et de Romilly, on voit s’agiter et se presser autour des whigs toute l’armée réformatrice de l’Angleterre ; réforme des idées, des lois, des mœurs, des principes ; tribuns, orateurs, publicistes, jurisconsultes ; ceux-ci n’en voulant qu’aux abus des coutumes anciennes, ceux-là favorisant l’influence démocratique ; tous retenus par le contrôle public dans le cercle magique des institutions, et plaçant leurs batteries dans cette enceinte, jamais plus loin : — Hunt, qui parcourt l’Angleterre, traîné par ses chevaux blancs dans sa calèche blanche, pavoisée de faveurs blanches, et qui se présente à toutes les élections sans autre espoir que de conquérir 90 voix sur 5,000 ; — le fermier Cobbett, redoutable logicien populaire, le dialecticien de la colère, déclamateur sans emphase et l’un des plus puissans écrivains des temps modernes ; — Francis Burdett, le Lafayette de son pays, le gentilhomme de la liberté, immuable dans un monde qui change, et destiné à passer pour démagogue en 1790, pour aristocrate en 1820 ; — Wilberforce, qui touche aux deux partis extrêmes, au radicalisme par ses longs travaux en faveur des noirs, au torysme par sa fidélité envers William Pitt ; — Parr, Jérémie Bentham, Samuel Romilly ; — l’ardent Brougham, qui travaille douze heures par jour, avocat, journaliste, savant, homme politique, polémiste, homme de lettres, compromettant les siens par la véhémence de son action, singulier et puissant esprit qui s’enflamme par son mouvement, et auquel il ne manque qu’un vice, l’amour du loisir. Ainsi tout se mêle avec une merveilleuse et mystérieuse singularité sur la scène de la vie humaine. Les diversités du caractère se combinent avec les variétés des situations, des temps et des climats, et sur un tissu commun les accidens de l’ombre et de la lumière se multiplient à l’infini.

On est saisi d’une tristesse involontaire quand on voit accumulés