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SITUATION ACTUELLE DE LA FRANCE.

donc mieux plier que rompre, et demander à la ruse ce qu’il ne peut plus obtenir de la force. De là ses lettres au sultan, si respectueuses, si dévouées, si rampantes. Mais sous cet amas de protestations et de flatterie, qui ne voit percer déjà le projet bien arrêté d’éluder ce qu’il ne refuse pas, et de se relever un jour, à l’aide d’une amitié plus efficace et plus sûre ? Encore une fois, Méhémet-Ali, vieux et usé, eût pu se résigner peut-être à la perte de la Syrie, de Candie, de l’Arabie ; il ne se résignera jamais à la condition misérable qu’on lui a faite.

Quand aux bruits qui courent depuis quelques jours sur les intentions du sultan au sujet de l’Arabie, et sur la confiance qu’il veut bien en ce moment témoigner à Méhémet, je ne comprends guère, en supposant ces bruits exacts de tout point, ce qu’ils peuvent changer à la question. Il est possible que le sultan, trop faible pour reconquérir l’Arabie, s’adresse comme jadis à Méhémet, et le charge généreusement de cette périlleuse mission. Il est possible que, malgré les dépenses et les difficultés de l’entreprise, Méhémet saisisse cette occasion de maintenir sur pied son armée, et de reprendre en partie, par quelque action d’éclat, le prestige qui lui a échappé. Mais le hatti-shériff qui, par l’ordre de l’Europe et au mépris de la note du 8 octobre, règle ses droits et fixe sa situation, n’en reste pas moins le même avec ses clauses dérisoires et humiliantes. Vainqueur ou vaincu, on peut être certain que Méhémet ne l’oubliera jamais.

Ainsi, des deux choses écrites le 8 octobre, et acceptées par la chambre et par le cabinet, pas une n’a reçu son accomplissement. Contre l’esprit bien manifeste de la note, il a été déclaré, à la face du monde, que la France n’a pas le droit de protéger l’Égypte, et que, si les puissances et le sultan ne vont pas jusqu’à la déchéance de Méhémet, c’est de leur plein gré, et sans que la France y participe. Contre la lettre de la même note, le pacha n’a obtenu qu’une autorité dérisoire et une hérédité révocable à volonté. Le premier engagement, l’engagement absolu, n’a donc point été tenu. Parlons de l’engagement relatif, de celui qui concerne l’isolement.

Maintenir l’isolement jusqu’a ce que l’Europe payât d’une concession notable la rentrée de la France dans le concert européen, voilà les termes précis de cet engagement. Pour rompre l’isolement, il fallait obtenir plus que la note. Or, je viens de prouver qu’on avait obtenu beaucoup moins. Du côté de l’Égypte, rien donc ne justifie ou n’excuse l’abandon de la politique d’isolement. Il est possible, à la vérité, qu’il y ait ailleurs de larges compensations, des compensa-