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des cent dernières années, et notamment la paix de 1763, le partage de la Pologne et les traités de 1815 lui ont porté un coup dont elle ne s’est pas relevée ; c’est qu’en un mot l’équilibre dont on parle tant est notamment altéré à son détriment.

Dans cette situation, la France, rajeunie et fortifiée par quinze années de paix, quand éclata la dernière révolution, devait certes être fort tentée de protester contr 1815 au dehors comme au dedans, et de redemander à l’Europe sa juste part les armes à la main. C’était, on le sait, l’avis d’un parti puissant et ardent. La France ne le voulut pas, et, selon moi, elle fit bien ; la France avait alors sa révolution à consolider, son gouvernement à fonder, ses principes à faire prévaloir. En brisant solidairement et violemment les traités de 1815, elle provoquait l’Europe à refaire le traité de Chaumont contre ses principes, contre son gouvernement, contre sa révolution, et elle rendait possible une troisième restauration. Il était plus sage sans contredit d’assurer la conquête qu’elle venait de faire avant de songer à des conquêtes nouvelles ; il était plus habile de ne pas mêler deux questions étrangères l’une à l’autre, celle de sa liberté au dedans, celle de sa puissance territoriale au dehors. Il était plus prudent enfin d’attendre avant de risquer une guerre générale, que sa force militaire, déplorablement négligée sous la restauration, fût réparée et refaite. C’est par ces raisons, non par d’autres, que les hommes éminens de la majorité, M. Périer, M. Thiers, M. Guizot, combattirent l’opinion qui voulait que la France se portât sur la Belgique et sur le Rhin, Pas un de ces hommes d’état ne nia que les traités de 1815 n’eussent réduit la France outre mesure, et qu’elle ne fît, en consentant à les subir, un très grand sacrifice.

Cependant en 1830, tout en se renfermant dans ses limites territoriales, la France avait encore un autre moyen d’exercer sur le monde une puissante action. La révolution et l’empire, en parcourant l’Europe à main armée, y avaient semé nos idées, nos mœurs, nos lois, notre civilisation. D’un autre côté, pour soulever les peuples contre le despotisme impérial, les gouvernemens européens avaient fait appel aux idées et aux passions libérales et révolutionnaires ; puis, le despotisme impérial renversé, ils avaient réprimé violemment ces passions, comprimé ces idées. Déçus dans leurs légitimes espérances et rassurés sur leur nationalité, les peuples s’étaient donc habitués de nouveau à tourner les yeux vers la France comme vers un phare un peu obscurci peut-être, mais d’où la lumière devait tôt ou tard jaillir et rayonner sur l’Europe et sur le monde, Quand, en 1830, le