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SITUATION ACTUELLE DE LA FRANCE.

rique du Sud n’est point celle de notre puissance et de notre fermeté. Il n’en reste pas moins vrai que là aussi l’Angleterre gagne chaque jour sur nous.

Des trois états qui en 1827 et 1828 concoururent à l’affranchissement de la Grèce, la France est sans contredit celui qui, de tout temps, secourut et servit ce royaume naissant avec le plus de zèle et de désintéressement. Depuis quelques années, la Russie s’était montrée favorable à l’insurrection grecque, mais dans des vues toutes personnelles et avec la pensée évidente de trouver là, comme dans les principautés, une nouvelle occasion d’influence exclusive et de protectorat. L’Angleterre, qui n’a de goût ni pour les progrès de la puissance russe, ni pour la création d’états nouveaux, l’Angleterre au contraire voyait l’insurrection grecque avec inquiétude, et ne consentit à la protéger qu’à la dernière extrémité, afin de mettre aussi la main dans l’affaire, et de peur qu’elle ne lui échappât tout-à-fait. La France seule, ainsi que le disait M. de Broglie en 1830, eut dès le début « le désir sincère de faire de la Grèce un état véritable, indépendant de droit et de fait, un état qui ne soit placé sous la protection de personne, un état qui n’ait besoin d’aucune intervention perpétuellement officieuse, un état libre, pour tout dire, de choisir ses amis et ses alliés. » M. de Broglie ajoutait avec beaucoup de raison qu’en agissant ainsi la France avait consulté ses intérêts non moins que ses sympathies, puisqu’un tel état « serait naturellement disposé à tourner ses regards vers celle des puissances qui l’aurait rendu tel, et qui au besoin pourrait lui promettre et lui donner son assistance sans le menacer sans cesse de sa protection. »

De cette triple pensée de la Russie, de l’Angleterre, de la France, naquit naturellement et nécessairement une triple politique. Ce que voulait la Russie, c’était un pays sans cesse troublé, agité, déchiré par des désordres intérieurs, et qui, par lassitude de la guerre civile, finit par se jeter un jour dans les bras de son puissant voisin. Ce que voulait l’Angleterre, c’était un royaume faible, pauvre, dépendant, incapable de vivre d’une vie propre et de faire sentir au dehors son influence et son action. Ce que voulait la France, c’était un état bien constitué, vigoureux, uni, qui pût avoir une armée, une marine et tenir son rang parmi les nations. Pendant les premières années, et notamment sous l’administration de M. d’Armansperg, la Russie aida donc et favorisa toutes les insurrections locales, et prêta partout secours aux bandes indisciplinées dont Colocotroni était le chef. L’An-