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je la sens. Ai-je besoin d’ajouter que personne moins que moi n’en tire cette conséquence extrême, que d’une politique inerte et timide la France doive se jeter soudainement dans une politique turbulente et téméraire ? Je sais que la paix, quand elle ne compromet ni l’honneur ni la puissance, est un grand bienfait, et c’est avec un profond regret que j’y renoncerais. Mais je suis convaincu que la paix elle-même sera mieux assurée si l’on résiste et si l’on ose à propos, que si l’on continue à céder chaque jour et sur tout. La paix n’a point été troublée en 1831 quand M. Périer a pris Ancône, en 1832 quand le ministère du 11 octobre a ordonné le bombardement d’Anvers. Peut-être l’eût-elle été si M. Périer et le ministère du 11 octobre eussent alors reculé, et inspiré à l’Europe une aveugle confiance. La politique que je demande pour mon pays, c’est celle de cette époque, politique prudente assurément et modérée, mais influente et respectée, parce qu’on savait qu’au bout de ses paroles il y avait des actes, et que ses canons étaient chargés. Que la France se hâte d’y rentrer, et il y aura pour elle encore chance d’échapper à la collision qu’elle redoute avec raison, mais que d’autres alors redouteront aussi. Qu’elle persiste, au contraire, dans la politique actuelle, et la collision deviendra inévitable par l’exagération même des efforts qu’on fera pour l’éviter.

M. le ministre des affaires étrangères, qui jugeait à peu près ainsi la situation il y a trois ans, la juge autrement aujourd’hui, et, dans son dernier discours de Lisieux, il se glorifie de son œuvre, et semble annoncer, pour le jour où le débat s’ouvrira devant les chambres, d’importantes révélations. Si en effet, au commencement de la prochaine session, le ministère peut dire : « Oui, j’ai accepté pour Méhémet-Ali des conditions moins bonnes que celles de la note du 8 octobre ; oui, j’ai renoncé, sans motif apparent, à la politique voulue et consacrée par la chambre ; oui, j’ai sanctionné par ma signature le funeste traité du 13 juillet ; mais, si j’ai fait tout cela sous ma responsabilité, c’est que j’y voyais le seul moyen d’arriver à une grande chose, à une chose qui dédommage pleinement la France de tous ses sacrifices, et cette chose, la voici. Songez donc au résultat que j’ai obtenu, non au chemin que j’ai pris, et que la gloire du présent achève d’effacer les douloureux souvenirs du passé. » Si le cabinet est en mesure de tenir ce langage, il triomphera facilement de toutes les défiances, de toutes les attaques. S’il n’avait au contraire à nous offrir qu’un statu quo déplorable, et l’avantage menteur d’apposer