Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 27.djvu/74

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
70
REVUE DES DEUX MONDES.

une grande distance du rivage, le paysage garde encore toute sa sévérité : une suite de sommets nus fatigue l’œil par leur monotonie et semble enchaîner le voyageur aux mêmes sites. De Toujourra au royaume de Choa, la direction générale est sud-sud-ouest. La petite caravane franchit ainsi Ambado, Doulloule, Gabtima et Daffaré, sans que la végétation et la configuration de la contrée eussent subi de grands changemens. La pluie commençait à tomber par torrens, et plus d’une fois elle força notre voyageur à suspendre sa marche. Étendant alors deux peaux de bœuf, l’une comme matelas, l’autre comme couverture, il attendait que le ciel eût fermé ses écluses, et retrouvé son azur. Plus il avançait dans la direction d’un grand lac salé que fréquentent les caravanes danakiles, plus la lave prenait le dessus dans la formation des terrains. Après une halte sur les bords de ce lac, où quelques Bédouins grossirent sa caravane, M. Rochet poursuivit son voyage et arriva à l’embranchement des chemins de Choa et d’Aoussa. Aoussa, qui ne se trouvait alors qu’à treize lieues de distance, est la ville principale du pays des Adels ou Danakiles. Au dire des naturels, elle se compose de quinze cents chaumières et compte six mille ames de population. Les habitans, adonnés au commerce et à l’agriculture, trouvent un moyen d’irrigation naturelle dans les débordemens périodiques d’un grand lac qui, à l’instar du Nil, féconde et engraisse les terres. On ajoute qu’à l’extrémité du lac se trouve une écluse pour retenir les eaux jusqu’à ce que le sol soit convenablement imbibé. L’excédant va déverser dans un étang situé à trois lieues plus bas. Grâce à ce système, les champs environnans se couvrent de magnifiques récoltes, et Aoussa peut fournir du dourah presque à toute la contrée.

M. Rochet laissa à sa droite le chemin d’Aoussa et vint coucher à Nehellé, sur la route de Choa. Nehellé a une source d’eau chaude qui marque 33° au thermomètre de Réaumur. Plus loin, à Segadarra, existe une mine de cuivre carbonaté dans une couche d’argile ferrugineuse. À Abi-Joussouf, le voyageur reçut la visite du chef de la tribu Debenet, qui lui fit présent de quelques provisions et reçut en échange des pièces d’étoffes, des rasoirs, un couteau et un miroir. Cet homme fut si enchanté de ces dons, qu’il voulut lui-même servir d’escorte à l’Européen. Rien de curieux jusqu’à Haoullé, où se trouvent, au pied d’une montagne composée de granit, de trachyte et de basalte, quatorze sources d’eau thermale dont quatre bouillonnent au point que les Bédouins y font cuire leurs alimens au bain-marie. Ces naturels attribuent à ces eaux sulfureuses de grandes