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Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 27.djvu/75

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VOYAGE DANS L’ABYSSINIE MÉRIDIONALE.

vertus médicinales ; ils les croient souveraines pour toutes les maladies. La plus grande source a cent soixante-sept pieds de circonférence sur trois à quatre de profondeur.

Dans ces solitudes, les journées se suivent et se ressemblent. Les seuls êtres vivans qu’on y rencontre sont des hyènes tachetées qui rôdent sans relâche autour des caravanes. La nuit, elles viennent enlever les provisions sous la tête même des Bédouins endormis. À Hasen-Mera, le chef de l’endroit conseilla au voyageur de prendre une escorte, afin d’éviter une embuscade de Gallas-Itou qui l’attendaient à quelques lieues de là avec des intentions hostiles. M. Rochet ne se refusait pas à accepter ce secours, mais il voulait que les marchands de sel qui faisaient partie de la caravane contribuassent à la dépense dans la proportion de l’intérêt qu’ils avaient à la sécurité commune. Les débats de cette grave affaire durèrent deux jours au bout desquels il fut décidé que l’on accepterait l’escorte et que les frais en seraient prélevés à raison de tant par tête de chameau. Le séjour à Sasen-Méra fut d’ailleurs marqué par une suite de fêtes. Le campement se composait de trois à quatre cents individus, et chaque soir, au coucher du soleil, la danse commençait. Les Bédouins s’étant formés en cercle, l’un d’eux entonnait une chanson que les autres répétaient en cœur. Alors, se serrant l’un contre l’autre, ils trépignaient des pieds et battaient des mains ; puis ils allaient recueillir les témoignages d’approbation des femmes et des jeunes filles qui assistaient à ce spectacle.

Au-delà de ce point, la caravane de M. Rochet présentait une masse importante. Elle s’accrut encore à Bourdouda de vingt-une personnes, ce qui la portait à cent individus environ. Ce nombre était suffisant pour conjurer toutes les attaques. La physionomie du pays avait changé. Ce n’était plus la région aride et volcanique des environs de Toujourra, mais des plaines couvertes d’une riche verdure naturelle. Ces terres, que les Bédouins négligent, se prêteraient aux plus magnifiques cultures. Aujourd’hui elles sont le domaine des éléphans, des zèbres et des chamois. Rien ne saurait donner une idée du gibier qu’elles recèlent. On y voit des gazelles, des lièvres, des autruches, des troupeaux de pintades, des francolins, pigeons verts d’Abyssinie, plusieurs rolliers africains à longue queue, des veuves du Cap, des cardinaux de plusieurs variétés, des pernoptères, et autres oiseaux magnifiques. Quand on les traverse, on croirait, au milieu de ce luxe de créatures vivantes, assister au premier réveil de la création ; l’homme seul y manque.