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du travail attendue comme si féconde, qu’une réaction d’une portée incalculable se préparait contre les principes les plus universellement admis ! On allait voir l’idée d’une haute direction gouvernementale et d’un véritable monopole social envahir l’opinion publique le lendemain du jour où le pouvoir politique venait de perdre ses principales attributions et de voir s’évanouir son dernier prestige. À en juger par la réaction qui s’opère et par les efforts des économistes radicaux pour détruire dans la sphère commerciale les résultats que le mouvement des idées a produits depuis un demi-siècle dans la sphère constitutionnelle, à entendre le pouvoir invoqué comme un tuteur éclairé et comme un refuge nécessaire par ceux-là même qui l’ont mis en poudre et qui continuent à en démolir les ruines, on dirait que nous assistons au spectacle des plus étranges contradictions, et que l’esprit de ce siècle est condamné à protester perpétuellement contre lui-même. La tendance toute négative des idées politiques et la tendance organisatrice des idées économiques qui se produisent simultanément au sein de l’opinion avancée, ces doubles efforts pour annuler le pouvoir politique au profit de la liberté illimitée de l’individu, et pour soumettre cette liberté elle-même aux restrictions les plus sévères en matière de salaire et de travail ; la liberté magnifiée d’un côté pendant qu’on la maudit de l’autre ; le même principe présenté comme la source de tous les progrès moraux en même temps que de toutes les misères matérielles, c’est là un phénomène dont ce siècle et cette société tourmentée étaient seuls appelés à donner l’éclatant exemple.

Les considérations sur lesquelles s’appuie l’école qui réclame avec une énergie sans cesse croissante l’organisation du travail, sont dignes assurément de l’attention la plus sérieuse, car les bons esprits ne peuvent manquer d’être frappés des obstacles que rencontrent dans leur marche les idées placées, voici à peine quelques années, au-dessus de toute controverse. Compenser les résultats funestes de la concurrence par l’extension progressive de la consommation est un problème qui paraît aujourd’hui plus facile à poser qu’à résoudre. Qu’arrive-t-il en effet dans la pratique ? Personne ne l’ignore, et chacun en gémit, sans découvrir un remède pour des plaies que chaque année rend plus profondes : les petits capitalistes succombent et disparaissent devant les grands, et la condition de la victoire n’est pas tant de mieux faire que de pouvoir durer davantage. Les transitions soudaines d’une production exagérée à un chômage désastreux livrent tour à tour les capitalistes à toutes les exigences du travailleur,