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sont aujourd’hui impuissantes à maintenir. L’égalité sera enfin réalisée dans les lois, parce qu’elle le sera dans les mœurs, et le pouvoir, assis sur des bases nouvelles et élargies, deviendra le chef et le directeur absolu de toutes les forces individuelles qui se choquent aujourd’hui sous un régime de concurrence aveugle et dévorante.

Il n’y aurait guère à s’arrêter à ces capricieuses fantaisies, que nous sommes contraint de dépouiller de leurs formes naïves, si l’on n’atteignait enfin ici la seule pensée vraiment sérieuse qui tende à se dégager du chaos des théories réformatrices. La morale harmonienne dont Charles Fourier prétendit asseoir le principe sur l’accord et l’innocuité des passions, la hiérarchie fondée par Saint-Simon sur la classification par capacité, les projets de nivellement, les attaques à la propriété, les prétentions des femmes à l’égalité politique, les utopies sociales et les religions progressives, auront été depuis longtemps grossir la liste des folies et des témérités humaines, que l’idée d’un pouvoir modérateur suprême de toutes les activités individuelles se maintiendra dans sa force et gagnera chaque jour du terrain à raison des difficultés sans cesse renaissantes sorties de l’application de la doctrine contraire.

Les dangers d’une concurrence sans règle comme sans limite, les plaies des industries manufacturières et la guerre impitoyable à laquelle elles sont condamnées, l’abaissement progressif des salaires combiné avec l’élévation du prix des choses, les misères déjà cuisantes du présent, les bouleversemens qu’on peut prévoir et redouter dans l’avenir, tel est, tel restera pour la génération contemporaine le seul point d’appui des théories novatrices. C’est que les réformateurs touchent ici par tous les points à des réalités douloureuses, c’est qu’ils écrivent avec une plume trempée dans les larmes, et que des cris d’angoisses répondent à leur voix.

Que le régime actuel de l’industrie et du commerce soit livré sans direction à toutes les chances et à tous les caprices de la fortune, que les maux enfantés par lui soient destinés à s’aggraver à mesure que les marchés étrangers pourront de plus en plus se suffire à eux-mêmes ; que, dans l’état actuel du système industriel, les découvertes de la science et du génie provoquent chaque jour d’incalculables souffrances et d’horribles privations, ce sont là de pénibles vérités dont les doctrines d’Adam Smith et de J.-B. Say n’affaibliront pas, hélas ! la portée redoutable. Singulier retour des choses d’ici-bas ! étrange évolution des idées humaines ! La France s’était à peine dégagée des liens de sa vieille organisation ; elle avait à peine conquis cette liberté