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ailleurs, car je n’avais que six ans lorsque mon père m’amena dans ce pays ; mais je sais ce qu’il en est de notre ville, et, si les autres lui ressemblent, le monde ne vaut pas mieux que Sodome et Gomorrhe. D’un bout à l’autre, Odessa n’est qu’une cité de fraudes ; il n’y a pas ici deux pierres qui reposent honnêtement l’une sur l’autre, et, si Dieu veut être juste envers cette ville, il n’en épargnera pas la plus petite partie. »

Autour d’Odessa on retrouve plusieurs populations anciennes, toutes différentes l’une de l’autre. Près de la ville est une colonie de sectaires qu’on appelle les vieux croyans russes, qui jadis abandonnèrent leur pays, où ils n’étaient pas libres de suivre leur culte, et se mirent sous la protection de la Turquie. Par suite d’un nouveau traité politique, ils sont devenus Russes, et restent comme par le passé fidèles à leurs pratiques religieuses. Dans chaque habitation on trouve une image de saint placée sur un piédestal, dans la chambre la plus élégante, et ornée avec un soin pieux. Nuit et jour une lampe brûle devant cette image vénérée, et la famille lui offre des fruits et des fleurs. Les vieux croyans sont honnêtes et hospitaliers, ils accueillent avec bonté le voyageur, et tâchent de lui rendre leur demeure agréable. Seulement, il ne faut pas qu’il se permette de fumer, car l’Écriture a dit : « Ce n’est pas ce qui entre dans la bouche qui souille l’ame, c’est ce qui en sort. » La fumée de tabac sort de la bouche ; donc la moindre pipe, le petit cigarre, offensent Dieu et laissent une tache sur l’ame.

Près du golfe d’Odessa, à l’embouchure du Dnieper, sont les Troglodytes, qui habitent encore dans la terre comme ceux dont parle Hérodote, c’est-à-dire que leur demeure est creusée à cinq ou six pieds dans le sol. Le toit, recouvert de gazon, s’élève seulement comme un tertre incliné au-dessus du niveau de la prairie, en sorte que de loin toutes les habitations ressemblent à des ondulations de terrain. Les animaux sont également parqués à cinq ou six pieds dans la terre. Chaque espèce de bétail a son trou séparé, et entouré d’une palissade, mais sans toit, ce qui en hiver est fort triste à voir.

Non loin de là, sur la côte de Crimée, les habitans passent la moitié de leur vie en plein air. Là les maisons sont petites, peu confortables, malpropres, mais le toit est large et riant, aplani comme une terrasse, ombragé par des arbres. Le toit est la partie essentielle de l’habitation. C’est là qu’on sèche les fruits et le grain ; c’est là que les femmes se réunissent pour travailler, et que les hommes se font des visites. Le pays est riche et fécond, et occupé encore en grande partie par les tribus tartares, restes du grand empire gouverné autrefois par des khans, et réuni, en 1783, à la Russie. Le peuple est intelligent, et a déjà certaines habitudes de luxe, indice matériel de civilisation. M. Kohl, en traversant un de ces villages tartares, entra un jour dans une habitation pour y demander l’hospitalité, et trouva un jeune couple qui parlait français. C’était un honnête Champenois qui était venu là avec sa femme établir une fabrique de vin de Champagne. Ce premier essai ayant réussi, il avait étendu le cercle de ses expériences, et mettait en bouteilles du