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LA RUSSIE DU MIDI ET LA RUSSIE DU NORD.

langue est une des plus anciennes que l’on connaisse, et renferme un grand nombre de mots radicaux de toutes les langues de l’Europe, si l’on en excepte pourtant la langue française. Il y a un millier d’années que les Osses occupaient une grande partie du Caucase ; ils étaient alors tous réunis sous une même autorité, et faisaient souvent des excursions dans la contrée des Grousiniens et jusqu’en Arménie. Vers la fin du VIIe siècle, ils furent vaincus par une tribu plus puissante que la leur, et se dispersèrent dans les montagnes. À présent, ils n’ont plus de chef. C’est par la langue, les mœurs, les relations de famille qu’ils se tiennent unis l’un à l’autre, et cette union leur donne encore assez de force pour conserver leur entière indépendance à l’égard de la Russie.

Les Russes ont été, il y a long-temps, convertis au christianisme, et d’année en année, de siècle en siècle, ils ont perdu pour ainsi dire jusqu’aux plus simples élémens du dogme évangélique. Ils n’ont plus ni prêtres ni religieuses, et ne respectent que les églises en ruines. En passant devant les prêtres ils se découvrent toujours, devant les églises ils descendent de cheval et s’inclinent. Si on leur demande pourquoi ils agissent ainsi, ils répondent que leurs pères ont fait ainsi, et qu’ils suivent l’exemple de leurs pères. Ils honorent, comme les anciens Lapons, les cimes des montagnes, car ils croient qu’elles sont habitées par les anges. Ils ont une prière singulière dans laquelle ils invoquent d’abord le nom de Dieu. Immédiatement après Dieu viennent saint George, sans doute en sa qualité de chevalier, puis la Vierge et les archanges, le prophète Élie, le Christ, les cimes des montagnes, et enfin les églises des montagnes dont ils implorent la miséricorde.

Ils ne célèbrent qu’un très petit nombre de fêtes, entre autres celle du prophète Élie. Cependant ils ont un certain respect pour le dimanche, et ce jour-là, quelque temps qu’il fasse, soit qu’ils restent chez eux ou qu’ils aillent en voyage, ils ont continuellement la tête découverte.

L’autorité des anciens chefs est remplacée par celle du père de famille. Au milieu de leurs habitudes sauvages et cruelles, c’est une chose touchante que de voir le sentiment de vénération et d’obéissance passive que les Osses témoignent à celui dont ils ont reçu le jour. Plus la famille d’un vieillard est nombreuse, et plus il est considéré. Ici l’on retrouve dans chaque maison ce siége élevé dont il est souvent question dans les sagas scandinaves, et qui existe encore en Norvége dans le district de Bergen, ce siége d’honneur exclusivement réservé au père de famille. Aussi long-temps que le vieillard conserve un souffle de vie, il est le maître absolu. Chacun de ses enfans se soumet sans murmure à sa volonté, et nul d’entre eux n’oserait, de son vivant, demander sa part d’héritage. S’il se commet parmi eux, chose presque inouie, un parricide, la tribu entière se soulève avec un sentiment d’horreur. Le coupable est enfermé dans sa demeure avec sa famille, ses bestiaux, ses meubles, et brûlé tout vivant ; puis sa maison est renversée, pierre par pierre, de fond en comble.

Du reste, les lois sont assez indulgentes pour la rapine et l’assassinat. De même que les anciennes lois islandaises, elles tolèrent les coups d’épée, les