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en vue d’alors, il est juste de noter ses affinités d’abord décelées pour l’élégante et chaste manière de la muse d’Eloa. L’idéal devint de bonne heure la préoccupation, le culte de M. Brizeux. Sa sensibilité vive, mais plutôt rapide et pressée qu’épanchée, ne souffrait pas de se révéler à nu, de se confesser sans voile et sans figure. Il n’est pas de ceux qui, blessés du trait sacré, jettent au ciel la poussière mêlée dans leur sang, et qui versent avec clameur, comme dit Ballanche, leurs entrailles sur la terre. Pur avant tout, discret, revêtu, la décence régla même ses premières plaintes.

Marie, qui parut en 1831, à travers la tourmente politique, annonça aux rares lecteurs attentifs ces qualités de cœur et d’art ménagées dans toute leur grace. Deux éditions ont suivi, dans lesquelles l’auteur a fait plusieurs changemens curieux ; car cette Marie, on peut le dire, a été pour le poète comme une jeune fille que la mère retient long-temps entre ses genoux, en la peignant amoureusement. Deux ou trois joyaux ont été changés successivement de place, ont été essayés, puis supprimés. Enfin, telle que nous l’avons aujourd’hui[1], elle me semble la perfection même.

Marie, je le dirai pour le petit nombre de ceux qui l’ignorent, est une jeune paysanne bretonne que le poète a aimée autrefois, dans son enfance, de cet amour de douze ans, le plus vrai, le seul peut-être, puis qu’il a perdu de vue et qui s’est mariée dans le pays. Lui, de loin, il y repense, il remonte par elle le courant des fraîches années, il lui adresse ses pudiques retours et ses vœux. Cela composait un certain nombre d’élégies, entre lesquelles étaient jetées d’autres pièces sur d’autres sujets, mais qui ne détonnaient pas.

Dans la première édition pourtant, l’arrangement était moins sévère ; les déviations pouvaient sembler plus fréquentes ; l’ensemble du livre portait moins uniquement le cachet distinctif de la Bretagne. Mais en même temps l’auteur, sur quelques détails de forme, affectait de se séparer : par exemple, il appelait roman ce volume qui n’était qu’un recueil de pièces détachées ; il intitulait dix vers alexandrins chanson. C’était là peut-être, en cette œuvre modeste et charmante, la seule trace d’école, de cette école qu’il fuyait.

Dans la seconde édition, le caractère breton prit le dessus, mais d’une façon un peu affichée. Tous les noms de bourgs, de fleuves et de montagnes, qui d’abord s’étaient écrits à la française, revêtirent l’orthographe celtique, et purent paraître bizarres, d’harmonieux

  1. Troisième édition ; chez Masgana.