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REVUE. — CHRONIQUE.

sans appui, sans force morale, il ne pouvait plus rien pour la chose publique, et nul n’a le droit de rester aux affaires le jour où il ne peut plus se faire illusion sur son impuissance. Est-il donc si difficile de quitter le pouvoir à propos, et faut-il qu’une crise ministérielle entraîne l’abaissement des hommes politiques qu’elle renverse ?

Le cabinet whig a voulu se présenter au nouveau parlement, à un parlement élu contre lui, et qui, évidemment, ne voulait pas de lui. Ministres de nom, sans plus l’être de fait, ils ont mis dans la bouche de la reine un discours en opposition avec les réponses des scrutins électoraux, un discours qu’ils savaient de science certaine ne pas pouvoir être le programme de la session.

C’était là placer la couronne dans une position délicate, difficile, uniquement pour se donner à soi-même une satisfaction puérile. Que pouvaient-ils espérer ? Le pays, qui ne s’était pas ému sous les violentes provocations des meetings et des hustings, pouvait-il s’émouvoir du discours nécessairement froid et mesuré de la couronne ?

Le parti vainqueur s’est senti blessé de cette dernière tentative d’un cabinet impuissant. Aussi a-t-il été sans pitié pour les vaincus. Il les a, disons le mot, expulsés des affaires ; il les a écrasés sous le poids d’un amendement. Il eût été difficile de rien imaginer de plus hautain, de plus dédaigneux, de plus amer : « Que nous importent vos discours ministériels, vos idées gouvernementales, vos projets ? Vous n’avez point la confiance du pays. Sortez, et le pays, gouverné par des hommes qui le comprennent, verra alors ce qu’il a à faire pour ses intérêts et sa gloire. » L’amendement a été adopté, dans la chambre des communes, à une majorité de près de cent voix !

Encore une fois, l’obstination des whigs manquait de motifs plausibles et de dignité. Ils compromettaient, comme ministres mourans, l’autorité qui leur appartient dans le parlement comme chefs habiles et éloquens d’une opposition redoutable.

On pourrait à la rigueur, et dans certaines circonstances, concevoir cette ténacité chez nous. Chez nous, tous les ministres ont également le droit d’assister aux délibérations de l’une et de l’autre chambre. Dès-lors il pourrait entrer dans les vues d’un chef de cabinet de garder le pouvoir quelques jours de plus, pour avoir le droit de s’expliquer une dernière fois à la tribune de la chambre dont il ne fait pas partie : d’ailleurs nos mœurs parlementaires ne sont pas, à beaucoup près, si rudes, si farouches, que celles de l’Angleterre. On serait, en France, à la veille d’une révolution le jour où les chambres, se renfermant dans un silence dédaigneux, diraient aux ministres de la couronne : Assez, messieurs ; nous n’acceptons pas la discussion avec le cabinet. En Angleterre, au contraire, les membres d’une chambre, bien que ministres, n’ont pas droit d’entrée dans l’autre chambre. Au sein du parlement, on est, plus encore que ministre, le chef de son parti ; on n’a donc ni intérêt ni prétexte de prolonger l’agonie ministérielle. Au contraire, on doit désirer de porter sur le banc de l’opposition des forces qui ne soient pas trop usées, des idées qui ne se trouvent pas déflorées. Il est arrivé chez nous qu’un parti