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Il fallait au peuple des couleurs puissantes, tranchées, des mélodies faciles à comprendre, à retenir. La religion, l’amour, la guerre, çà et là quelque aventure de la vie ordinaire, quelqu’un de ces faits qui frappent et dont l’imagination aime à s’emparer, telles sont les sources vives, les origines romantiques du lied. Ce que des milliers d’hommes ressentaient au fond du cœur, une voix l’exprimait, et, comme on le pense bien, à cette voix sympathique les échos ne manquaient pas. Aussi peut-on être sans inquiétude quant à ce qui regarde le fonds des lieds populaires au moyen-âge. Presque toujours ce fonds est généreux et de bon aloi. Pour la forme, nous n’en dirions sans doute pas autant. En effet, le principe, la cause essentielle de cette poésie, le sentiment, absorbe parfois l’ame et la possède à ce point que dans l’intensité de son émotion il lui arrive d’oublier certaines exigences de l’art. On remarquera que nous n’entendons parler ici ni du rhythme, ni de la mélodie, ces deux élémens constituans, selon nous, partie intégrante de l’idée, du sentiment, qui ne saurait se faire jour sans les entraîner avec lui, attendu qu’il existe entre l’idée, la mélodie et le rhythme, membres harmonieux de la trinité poétique, une indivisible union, une simultanéité solidaire. C’est dans le soin du détail, dans le choix de l’expression souvent embarrassée, obscure, entachée de rudesse ou de trivialité, que l’action de cette force sympathique poussée à l’excès se produit d’une façon regrettable.

Il va sans dire que le lied considéré au point de vue populaire n’a d’expression sérieuse, de vie immédiate, qu’autant que le sentiment dont il relève se maintient dans sa vigueur féconde. Ôtez au lied cette présence intérieure, il se flétrit et meurt, car dès ce moment la conscience populaire cesse d’y trouver cette émanation morale d’elle-même. Alors s’ouvre pour le lied la période littéraire. Le peuple n’en veut plus, et, comme nul ne le réclame, il a bientôt fait de le mettre dehors. Les temps s’écoulent ; enfin viennent les poètes qui, voyant le gentil nourrisson se débattre, le recueillent avec amour et lui vont filer, dans leurs loisirs, une robe nouvelle. Alors le lied se régénère ; il va revivre par la grace de la poésie. Peu à peu, vous le voyez se couvrir de tous les joyaux dont l’art dispose, l’art de Goethe, de Uhland, de Rückert ; la forme est réhabilitée : on invente, on combine, on élabore, on se perd en caprices merveilleux, en élégantes ciselures, en broderies de toute espèce. L’enfant populaire se voit environné des mages de la littérature, qui dépose à ses pieds l’encens, l’or et la myrrhe. Voilà le soupir de la chaumière, l’expres-