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DE LA POÉSIE LYRIQUE EN ALLEMAGNE.

sion des masses laborieuses, devenu, par le seul prodige de l’art, une fantaisie de luxe ; voilà le lied devenu chose de l’intelligence, de simple chose de sentiment qu’il était, et voyez l’étrange phénomène ! dans sa transformation glorieuse, il n’a rien perdu de sa grace naïve, de cette ingénuité qui lui vient de son humble origine. La preuve, c’est qu’il retourne au sein du peuple, qu’il y rentre avec les chansons de Marguerite et de Claire, les hurrahs de Koerner, les élégiaques mélodies de Uhland, en un mot, sous toutes les formes qu’il adopte au moyen-âge. Le lied retourne au peuple comme la rosée au fleuve, après avoir passé par le soleil.

C’est du XIVe au XVIe siècle que le lied populaire proprement dit se développe en Allemagne. Vous ne trouvez que lui pendant cette grande période historique ; lieds d’amour, de compagnonnage, de chevalerie et de guerre ; de tous côtés vous le voyez fleurir et se multiplier ; un esprit original, actif, singulier peut-être, parcourt l’Allemagne du nord au midi ; le sentiment déborde ; la crise politique, les tiraillemens universels ont dans l’intelligence des contre-coups féconds, et le génie populaire trouve en lui, pour répondre aux commotions qui l’ébranlent, des échos profonds et variés. Je me figure que plus d’un brave compagnon dont la postérité n’a point à s’enquérir, plus d’un Lanzknecht mort ignoré dans quelque rencontre, dut faire un beau jour son lied, poème de son cœur, histoire où sa vie entière se résumait. Or, il s’est trouvé que cette histoire, ce poème, dans un temps où la milice humaine se groupait encore à l’abri de certains dogmes comme sous d’inviolables drapeaux, il s’est trouvé que cette voix du compagnon et du lanzknecht exprimait les sentimens inarticulés de toute une multitude, et remuait des consciences sans nombre. Voilà, je pense, le grand secret de la popularité du lied au moyen-âge. Au XVIe siècle, son caractère national se perd, il dégénère ; c’est l’époque où le goût italien et français fait invasion. Les associations musicales se forment, les maîtrises s’instituent ; adieu la poésie du sentiment ; voici les querelles de mots qui commencent avec Hans Sachs et ses confrères les artisans de Nuremberg ; voici les solennels débats qui s’ouvrent à propos d’une rime. Alors le lied cède la place aux motets, aux villanelles de toute espèce, et disparaît jusqu’à la renaissance de la poésie allemande au siècle dernier, jusqu’à ce magnifique mouvement dont Goethe est le héros.

Grace aux mille fantaisies d’une nature incessamment variée, le lied répond à toutes les nécessités de son origine. Vous ne citerez pas une tendance populaire qui n’ait en lui son expression, pas un sourire,