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MADEMOISELLE DE LA CHARNAYE.

il s’arrache les cheveux, se déchire le visage. Sa fille se jeta sur lui, elle parvint à le calmer en lui parlant de Dieu et de sa mère morte ; il tomba dans un silence stupide.

Une fièvre cérébrale se déclara à la suite de ce profond désespoir. Le curé de la paroisse arriva, et la religion acheva de contenir le marquis. Cependant, quand il songeait à la guerre, à ses espérances, et qu’il avait perdu la vue en un tel moment, après une victoire, il lui prenait des accès si violens, qu’il fallait le surveiller sans cesse et de très près. Sa fille ne le quitta point d’une minute. — Ayez pitié de moi, mon enfant, lui disait-il, je perds la raison ; c’est que véritablement, mon Dieu ! ce malheur était au-dessus de mes forces.

Le septième jour, il dit à Paulet, l’homme qui le veillait, d’aller chercher son fils, et s’adressant à Gaston : — Monsieur le chevalier, Dieu ne m’a pas fait la grace de le servir plus long-temps, je vais garder la maison comme une femme. Vous n’avez plus rien à faire ici. Allez retrouver M. de Lescure et tenir ma place à l’armée. — Il prit la tête de son fils dans ses mains, et l’embrassa, s’efforçant de cacher l’altération de ses traits. Il reprit d’un ton ferme : — Partez, que mon nom ne s’efface point du souvenir de ces braves gens. — Je n’osais partir sans votre congé, dit le chevalier, mais j’en étais impatient. Il fut convenu qu’il écrirait le plus régulièrement possible ce qui se passerait, et le lendemain, au point du jour, il monta à cheval sans avertir sa sœur, et s’en retourna avec les hommes qui avaient accompagné le marquis.

La fièvre de M. de La Charnaye dura trois semaines avec quelque danger ; pendant ce temps, sa fille s’employa à le soulager avec une piété angélique. Mlle Thérèse de La Charnaye, alors âgée de dix-sept ans, était pour l’extérieur une femme faite, d’une taille élevée comme son frère, le teint d’une blancheur éclatante, peut-être point assez animé, blonde et délicate, des yeux d’un bleu céleste et d’une douceur extrême. D’une grande timidité par suite de sa vie retirée, mais établie de bonne heure à la tête de la maison, elle avait pris dans l’intérieur l’habitude du commandement, et se ressentait, sous ces deux rapports, de l’isolement où l’avait laissée la mort prématurée de sa mère. Les gens de service, au reste, s’étudiaient à lui faciliter les soins domestiques dont elle s’était vue chargée. Les évènemens de la révolution et la guerre avaient interrompu divers projets pour son établissement ; il avait été question d’un cloître et d’un mariage, mais le malheur de son père lui montra son devoir. Elle se fit l’An-