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les bruits du dehors, j’empêcherais le mal d’arriver jusqu’à lui, et il reposerait en paix comme les enfans qu’on berce de beaux contes. Mainvielle était touché, approuvait, mais le lendemain il n’était plus maître de lui.

Au commencement de juillet, les armées catholiques coalisées échouèrent à l’attaque de Nantes. Cathelineau fut tué : la désolation courut le pays. Le bruit se répandit que les bleus allaient s’avancer sans obstacle, se venger sur tous les châteaux, et exercer d’horribles représailles. Les paysans, à Vauvert, se racontaient les évènemens en tremblant. Mlle de La Charnaye savait tout, sans trop se rendre compte de la gravité de ces désastres. Elle empêchait seulement que ces nouvelles vinssent aux oreilles du marquis. Une lettre de Gaston arriva. L’échec de Nantes y était peint avec la colère et la passion d’un jeune homme. Mlle de La Charnaye vit l’effet que cette lettre allait produire ; elle en passa la moitié et feignit que son frère n’avait pas eu le temps d’entrer en plus de détails. Le coup n’était déjà que trop rude. Le marquis demeura silencieux tout un jour. Mainvielle respecta ce silence ; mais il laissait percer je ne sais quel empressement et quelle satisfaction dans son service ; il se doutait d’ailleurs qu’on n’avait pas tout dit au marquis. Celui-ci brûlait en effet de dépit et de curiosité.

— Eh bien ! Mainvielle, dit-il enfin avec effort, les bleus nous ont battus. — On le dit, monsieur le marquis. — Ils n’ont pas voulu m’écouter. Ils vont attaquer sans artillerie une ville qu’ils ont laissée paisiblement faire ses préparatifs. Il fallait l’emporter d’assaut après la prise de Saumur. — Mais, dit Mainvielle avec empressement, Saumur vient d’être évacué. — Il fallait donc se joindre à M. Charette, forcer le passage de la Loire et soulever la Bretagne, qui nous attend les bras ouverts. — Oui, mais M. Charette, battu à Nantes, s’est retiré dans le Bas-Poitou. L’armée peut détacher deux divisions. — Elle a perdu beaucoup de monde. On fera de nouvelles levées. — Hum ! les villages sont bien déserts. — On se fortifiera et on se battra dans tous les châteaux. — C’est qu’il ne reste plus grand monde dans les châteaux. — Eh bien ! s’écria le marquis exaspéré, ils s’arrêteront au moins devant le mien, et la dernière pierre en croulera sur ma tête avant qu’ils fassent un pas de plus. — Il donna un grand coup de sa canne sur le parquet ; sa voix faisait trembler les vitres. — De grace, monsieur le marquis, vous ne voudriez pas exposer la vie de tous vos gens. — Tous mes gens sont résolus à mourir comme moi. — Ah ! monsieur le marquis, de quelque fidélité qu’ils