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papiers, de cartes géographiques, écrivant, raturant, étudiant des termes militaires qu’elle n’entendait pas. Vers le milieu du jour, elle entra chez son père en disant : Voici nos lettres. Le marquis se leva en sursaut. Elle tira toute tremblante un papier de son sein ; M. de La Charnaye était trop ému lui-même pour soupçonner rien à cette émotion. Il tenait sa fille embrassée, prêt à saisir, pour ainsi dire, au passage les paroles qu’elle allait prononcer. Elle lut ceci d’une voix mal assurée :

Du 22 septembre. — « Depuis l’attaque de Nantes, les armées catholiques campent sur la rive gauche de la Loire. — Plus de troupes devant nous. — La garnison, encore effrayée de cette entreprise hardie, n’a point osé quitter ses murs. Au reste, ce n’est qu’un échec peu décisif et qui a été bientôt réparé… »

— Qu’appelle-t-il échec peu décisif ? s’écria le marquis ; la guerre pouvait être finie ; à quoi pensent donc ces messieurs ?

Mlle de La Charnaye demeurait interdite, quoiqu’elle eût à peu près copié ce passage. — Poursuivez, lisez, ma fille, dit le marquis.

25 septembre. — « Ce fameux Westermann, qui se vantait d’écraser le Poitou avec une seule légion a été battu à la tête d’un corps considérable. On dit que cet homme commandait les Marseillais à la journée du 10 août. Je voudrais le voir entre les mains de nos Allemands. »

28 du même mois. — « M. de Lescure n’a pas de bonheur. Voici encore deux balles qui lui sont entrées dans le corps. Je ne lui connais pas d’affaire où il n’ait reçu sa balafre. Il commande toujours emmaillotté de compresses. »

30 septembre, 3, 6, 9 et 10 octobre. — « Nous avons battu et poursuivi pendant trois lieues à Coron cet abominable Santerre et ses troupes. C’est ce misérable qui a mené le roi à l’échafaud. Nous l’avons connu trop tard ; un de nos cavaliers l’a pourchassé une grande heure. Il ne s’est sauvé qu’en faisant sauter à son cheval un mur de huit à dix pieds. »

Mlle de La Charnaye avait pris ce détail dans une lettre antérieure ; elle l’avait passé sous silence dans le temps où elle pouvait épargner à son père jusqu’à l’amertume d’un souvenir.

Du 10 au 20 octobre. — « Les Mayençais sont à demi détruits. — La division Duhoux a été très maltraitée à Saint-Lambert. Cela peut passer pour une bonne déroute. — M. de Lescure a fait des prodiges. Le général Beysser s’est ensuite avancé jusqu’à Montaigu, on l’a taillé en pièces. Mieskouski a été écrasé à Saint-Fulgent. »