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sa politique. Tout jeune, il a, comme nos braves soldats, affronté tous les périls, supporté toutes les fatigues ; prince, riche, quatrième fils du roi, sans autre perspective que celle d’une vie honorable et noblement employée au service de son pays, il a bravé les dangers de cette Afrique plus redoutable encore par ses poisons que par les balles des Bédouins. Et il ne les a pas bravés impunément ; ainsi que l’avait déjà éprouvé le prince royal, la maladie n’épargne ni la naissance, ni le dévouement, ni le courage. Le duc d’Aumale fut atteint d’une maladie si cruelle, que ses compagnons d’armes désespéraient de le pouvoir ramener au sein de son auguste famille. Aussi disait-il à la reine, en lui présentant à Corbeil le chirurgien de son régiment : Voici, madame, l’homme qui m’a sauvé la vie. Et cette vie, si noblement commencée, consacrée tout entière au pays, cette vie, espérance et orgueil légitimes d’une mère qu’on n’ose pas louer, parce que la profonde vénération est muette, cette vie, un assassin caché au coin d’une rue voulait la lui arracher par un infâme guet-apens !

L’indignation du peuple a été unanime et profonde. Espérons qu’elle sera durable. Il faut que l’opinion publique, énergique et persévérante, flétrisse des attentats qui sont une honte pour le pays, une insulte à la noblesse du caractère français, un péril pour nos libertés. Que les assassins sachent bien qu’il n’y a pour eux qu’un profond mépris et un insurmontable dégoût.

On donne aujourd’hui une explication de l’attentat d’hier qui lui ôterait tout caractère politique et en ferait un acte de vengeance privée, d’une vengeance aveugle et furieuse, au point de vouloir l’assouvir en cherchant à frapper l’officier qui en était l’objet, à côté des princes, au milieu d’une fête publique. La justice en décidera.

Les troubles et les désordres que nous avions espéré de voir s’apaiser et s’éteindre, paraissent au contraire se multiplier et se propager de plus en plus. Toutes les erreurs et toutes les préventions semblent se réunir pour troubler la paix publique. À Clermont-Ferrand, c’est le recensement qui pousse les Auvergnats à la révolte. À Mâcon, les portefaix aspirent au privilége, et trouvent mauvais que d’autres travailleurs puissent s’associer à leur œuvre et en partager les bénéfices. Partout ce n’est pas à la plainte, à la représentation, à la résistance légale qu’on se borne ; on ne songe qu’aux voies de fait, on s’y précipite avec une légèreté déplorable ; c’est dans la rue qu’on prétend vider toutes les questions et se faire soi-même justice. C’est en vain que se font entendre les avertissemens des magistrats, la voix des citoyens les plus honorables, les conseils de la presse, même de la presse de l’opposition, qui sait, par de nombreuses et tristes expériences, que le désordre et la violence n’ont jamais été des garanties de liberté. Un esprit de vertige paraît agiter les têtes dans ce moment, et leur fait oublier qu’il y a en France un pouvoir, des lois, une administration, des chambres, des tribunaux. On oublie que des voies légales, nombreuses, faciles, sont toujours ouvertes aux réclamations, fondées ou non ; que hors de ces voies, la résistance est coupable, et que la répression du délit n’est pas seulement un droit du gouvernement, mais un