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Voila le meilleur du Berquin ; on y retrouve un accord avec cette stance de Clotilde :

Tretous avons été, comme ez toi, dans cette heure ;
Triste raison que trop tôt n’adviendra !
En la paix dont jouis, s’est possible, ah ! demeure !
À tes beaux jours même il en souviendra.

Mais l’art et la supériorité de Surville ne m’ont jamais mieux paru qu’en comparant de près la source et l’usage. La première romance de Berquin a pour sujet une femme abandonnée par son amant ; ce qui peut être pathétique, mais qui touche au banal et gâte la pureté maternelle. Chez Surville, c’est une mère heureuse. Et pour le détail de l’expression et la nuance des pensées, ici tout est neuf, délicat, distingué, naturel et créé à la fois :

Étend ses brasselets ; s’étend sur lui le somme ;
Se clot son œil ; plus ne bouge… il s’endort…
N’étoit ce teint flouri des couleurs de la pomme[1],
Ne le diriez dans les bras de la mort ?

Arrête, cher enfant !… j’ai frémi tout entière…
Réveille-toi ; chasse un fatal propos…

Et tout ce qui suit. Chez l’autre, on va au romanesque commun, à la sensiblerie philantropique du jour. En pressant Surville dans ce détail, on est tout étonné, à l’art qu’on lui reconnaît, de trouver en lui un maître, un poète comme Chénier, de cette école des habiles studieux, et, à un certain degré, de la postérité de Virgile.

Le propre de cette grande école seconde, à laquelle notre Racine appartient, et dont Virgile est le roi, consiste précisément dans une originalité compatible avec une imitation composite. On citerait tel couplet des Bucoliques où le génie éclectique de Virgile se prend ainsi sur le fait[2]. Pour ce trait si enchanteur de Galatée, on pour-

  1. « Ô vous, petits Amours, pareils à des pommes rouges, » a dit Théocrite dans l’idylle intitulée Thalysies. On se croit dans le gaulois naïf, on rencontre le gracieux antique : ces jolies veines s’entrecroisent.
  2. Dans l’Églogue VIII, par exemple, au couplet : Talis amor Daphnim…, pour l’ensemble, Virgile s’inspire de la génisse de Lucrèce : At mater virides saltus ; de Lucrèce encore pour un détail, propter aquæ rivum, et de Varius pour un autre. Il compose de tous ces emprunts, et dans le sentiment qui lui est propre, un petit tableau original :

    Tous ces métaux unis dont j’ai formé le mien !