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PHILOSOPHES MODERNES.

ville de Bergerac, il envoyait des mémoires à toutes les académies de l’Europe. Ses recherches sur l’Habitude, rejetées une première fois par l’Institut, puis couronnées l’année suivante (1802), appartiennent tout-à-fait au mouvement philosophique de l’époque, et Cabanis, qui avait alors la haute main dans ces matières, le cite avec éloge dans une note de son grand ouvrage. Ce fut un coup de fortune pour M. de Biran d’avoir passé par cette école. Toute faible qu’elle est, nous lui devons le triomphe de la méthode expérimentale, et M. de Biran en particulier, sans la fréquentation de cette école de physiciens et de matérialistes, n’aurait peut-être jamais acquis ces connaissances étendues en physiologie, qui lui ont été d’un si grand secours. Quoique fort disposé à s’accommoder de la solitude et de l’exil où le retenaient ses fonctions, il venait à Paris par intervalles, et c’est ainsi qu’il fit partie de la célèbre société d’Auteuil. Dans sa double carrière de sensualiste d’abord, et plus tard d’adversaire du sensualisme, il connut chaque fois intimement les grands personnages de l’école à laquelle il appartenait ; et s’il fut en 1811 un des auditeurs assidus de M. Royer-Collard, dix ans auparavant, à Auteuil, dans le salon de Mme Helvétius, il discutait avec Cabanis, Volney, Destutt-Tracy, Garat et les principaux idéologues.

Là se réunissaient tous ceux qui cultivaient alors la philosophie avec quelque renommée. On comptait parmi eux plusieurs hommes justement célèbres, et qui, dans des genres divers, ont rendu de grands services. En politique, assez indifférens pour la plupart à la forme du gouvernement, et amis de l’ordre, malgré les boutades de l’empereur qui les accusait d’être des brouillons, ils professaient surtout un ferme attachement aux doctrines libérales. En philosophie, ils étaient tous ou presque tous condillacciens. Condillac avait recueilli cette influence comme un héritage que lui avait laissé la philosophie « du sage Locke. » Le XVIIIe siècle avait pris Locke pour sa doctrine sensualiste dont il avait besoin, et pour sa méthode expérimentale dont l’importance réelle couvrait en quelque sorte et compensait la stérilité de cette prétendue métaphysique ; et plus tard Condillac, qui régularisa la méthode et le système, se substitua sans difficulté à l’influence de Locke, dans un moment où l’on prenait la philosophie en patience, et où on la prônait sans y croire, comme un bienfaiteur dont on n’aurait plus rien à attendre. Condillac eut le mérite (si c’est un mérite) de dissimuler assez bien à ses propres yeux et à ceux des autres le néant de sa doctrine. Il construisit de vastes magasins d’une belle ordonnance, dont l’ensemble offrait à