les jeter confusément dans l’imitation de Walter Scott, de Goethe, de Schiller ou de Kotzebue. C’est là ce que, par une erreur étrange, les Espagnols ont appelé romantisme. Ne voyaient-ils pas que l’Espagne ancienne était seule véritablement romantique, et que le Nord ne pouvait prétendre à ce titre ? Tous les chefs-d’œuvre espagnols portent l’empreinte catholique, chevaleresque et romane, c’est-à-dire romantique, tandis que Hamlet, Faust, le Paradis perdu et les chefs-d’œuvre septentrionaux offrent au contraire le caractère de la pensée analytique, ironique, souvent révoltée, totalement contraire au catholicisme des nations romanes. Les critiques et les écrivains de la moderne Espagne ont eu grand tort, quand ils se sont enrôlés sous les bannières mal comprises et mal connues de Schlegel et de Coleridge. Aussi la plupart des dissertations et des discussions espagnoles sur le romantisme, sur le classicisme, sur le renouvellement social, sont-elles d’assez peu de valeur ; et comme en Italie, mais avec bien plus de désastre et de ruine, parce que l’intelligence espagnole est plus originale et plus haute, le flot de l’imitation septentrionale, au lieu de féconder le domaine littéraire, a fait éclore je ne sais quelles moissons de folle ivraie et d’herbes stériles sur les vieux et sublimes débris des monumens gothiques. Qu’avait besoin l’Espagne de s’intéresser à la question moderne du romantisme ? Elle seule, je l’ai dit, est romantique par héritage et par tradition ; elle seule a le droit de soulever cet étendard auquel le Nord ne peut prétendre. Le génie septentrional n’est point romantique, à proprement parler. Il a sa couleur et sa forme propres ; il a sa grandeur et sa puissance. Le génie gothique et chrétien, s’emparant d’une forme romane et créant des chefs-d’œuvre, embrasse la Provence et l’Italie jusqu’à Dante, mais caractérise surtout l’Espagne depuis le Cid jusqu’à Calderon.
Toute cette force et cette grandeur romanes et gothiques vont précisément au rebours de la civilisation européenne et moderne, qui est aujourd’hui essentiellement septentrionale et qui se précipite vers le Nord. Aussi l’Espagne, en s’attachant à la civilisation du Nord, est-elle fatalement entraînée dans une direction opposée aux traditions qui constituaient sa puissance ; elle ne répète ainsi que les voix de l’Europe. Pour nous imiter, il faut qu’elle se renie ; et quelle nation est forte en se reniant ? Le génie n’est possible que si l’esprit national, jaillissant de la propre source des traditions et des passions populaires, traverse fièrement le domaine de la