Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 28.djvu/68

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
64
REVUE DES DEUX MONDES.

dont le célèbre Lewis a donné le premier mot. Abordez ces deux volumes, vous ne croyez pas sortir de France ; tout ce que vous lisez est français ; le costume espagnol tient à peine et voltige au hasard sur les formes et les idées.

Sans contester ni le mérite du style, ni la gravité des vues, ni même l’éloquente facilité des écrivains plus sévères, on cherche bien vite quelques accens qui ne soient pas un écho, et quelques lueurs qui ne soient pas un reflet. Ces bonheurs se rencontrent assez rarement chez les écrivains dramatiques, Breton de los Herreros, Castro, Gil y Zarate et Hartzenbusch, qui tous les trois cependant ont conservé cette verve de dialogue et de situations qui semblent inséparables de la vieille comédie espagnole. Plus de cent trente drames, traduits, imités ou refondus par Breton de los Herreros, attestent sa laborieuse fécondité. Hartzenbusch, allemand d’origine, fils d’un ébéniste domicilié à Madrid, et long-temps simple ouvrier, a écrit, sous le titre des Amans de Teruel, un drame remarquable par l’énergie et la passion, mais mêlé de ces lieux communs de situations violentes et de cette déclamation emphatique qui caractérisent notre mélodrame. Gil y Zarate, esprit varié, tour à tour enrôlé dans le bataillon classique et dans la nouvelle armée de ceux qui copient Victor Hugo et Alexandre Dumas, a obtenu des succès dans l’un et l’autre genre. Parmi les poètes les plus complètement envahis par l’influence du Nord, nous citerons Roca de Togores, Salas y Quiroga, dont les strophes sur la Désespérance semblent traduites de lord Byron ; Pastor Diaz, don José Joaquin Mora, don Pedro Madrazo, don Juan Maria Maury, auteur de l’Espagne poétique ; Garcia Guttierrez, Castro y Orozco, les deux jeunes écrivains dramatiques de notre époque, qui annoncent le plus de talent ; Espronceda, Escosura, Bermudez de Castro, don Juan Floran, mais surtout don Angel de Saavedra, duc de Rivas. Le Moro Esposito de ce dernier est la plus heureuse imitation de Walter Scott que la poésie espagnole de ces derniers temps ait produite. Nous préférons encore à cet ouvrage, d’ailleurs remarquable par la facilité et le coloris, quelques légendes du même auteur, rimées à la manière des anciennes romances, entre autres El Fratricidio, terrible et dramatique récit de l’assassinat de Pierre-le-Cruel, poignardé par son frère sous les yeux de Duguesclin.

Ce qui manque en général à ces poésies, c’est la nouveauté de l’inspiration. En vain le poète se rejette-t-il dans les ténèbres du moyen-âge ou dans la poudre du champ de bataille féodal ; vous