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LA GALERIE ROYALE DE TURIN.

l’école italienne y domine du moins par le nombre ; plusieurs des plus grands peintres de l’Italie n’y sont cependant pas représentés. On n’y voit ni Raphaël, ni Corrège, ni Michel-Ange, ni Titien du premier ordre. Paul Véronèse, Palma Vecchio, Giorgione, Guido Reni, Guerchin, Francia, l’Albane, le Dominiquin, le Bronzino et Daniel de Crespi, servent de lieutenans à ces princes de l’art, et les remplacent assez dignement. Les maîtres hollandais et allemands y sont plus au complet que les maîtres italiens, et l’emportent sur eux par la qualité. On y voit des Gérard Dow d’un mérite supérieur, des Teniers de la plus grande beauté, des Van-Dyck, des Rubens et des Rembrandt du plus beau choix, des Ostade, des Berghem, des Mieris, des Breughel et des Wouwermans excellens. Les tableaux de ce dernier peintre sont d’autant plus remarquables qu’ils représentent une action. Albert Durer, Aldegraver, Holbein et Netscher soutiennent l’honneur de l’école allemande. L’école française enfin est représentée par Nicolas Poussin, Claude Lorrain et Vernet ; le beau portrait du roi actuel de Piémont, que ce dernier a peint il y a une quinzaine d’années, figure dans cette collection ; il doit être gravé par Toschi.

Nous prédisions naguère la résurrection de l’école italienne, que l’école de David et l’école hispano-anglaise, qui domine encore, se sont flattées tour à tour d’avoir enterrée. La persistance de quelques fidèles, et cette qualité spéciale qui distingue chacun des grands maîtres de cette école, la poésie, ont précipité cette inévitable réaction. La compression avait été trop forte pour que, dans le principe, l’intolérance ne signalât pas les apôtres de la nouvelle doctrine ; leurs chefs les plus ardens sont même tombés dans l’absurde ; ils ont déparé le but qu’ils voulaient atteindre. Au lieu de s’arrêter par-delà les Alpes, ils ont traversé les mers et sont retournés tout droit à Byzance ; ils n’ont vu de naturel que dans la pauvreté, de profondeur de pensée que dans l’exagération de la simplicité et la naïveté outrée ; ne s’arrêtant plus à Raphaël ni même au Pérugin, ils sont remontés à Giotto, à Cimabuë et aux peintres grecs. Puis la réflexion est venue ; les moins opiniâtres, c’est-à-dire les plus sages, se sont amendés ; ils ont consenti à chercher le beau, non plus seulement dans une seule ligne, mais partout où il existait, même chez Corrège, les Carraches, Paul Véronèse, le Titien et d’autres peintres de la troisième époque de l’art. Aujourd’hui la réhabilitation de ces maîtres est complète ; on peut citer leurs noms, vanter même leurs qualités, sans craindre l’anathème de ces enthousiastes des premiers temps de l’art.