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Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 29.djvu/1012

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ceux pour le conquérir. Outre l’opposition de la France, qui est bien quelque chose, on rencontrerait aussi probablement celle des intérêts nouveaux et des idées libérales en Espagne. Il n’est pas à croire qu’un archiduc consentît à subir un gouvernement constitutionnel, et cette condition sera pourtant la première qui sera imposée, selon toute apparence, au mari de la reine Isabelle.

Enfin, il est un troisième nom qui ne paraît pas beaucoup mieux choisi que les deux premiers. C’est celui d’un fils de don Carlos. Le but de cette combinaison est évident ; il s’agirait de réunir les deux partis carliste et modéré dans un seul parti de gouvernement. Cette fusion aurait quelques avantages ; elle aurait aussi des inconvéniens graves, surtout pour nous. Elle tendrait à nous débarrasser du voisinage fâcheux des anglo-exaltés, ce qui serait un bien ; mais il serait à craindre qu’elle n’amenât l’excès opposé. Le chemin du juste milieu est glissant et pénible à tenir, surtout en Espagne. Si un fils de don Carlos était roi, le parti modéré pourrait bien s’absorber quelque jour dans le parti carliste proprement dit. Ce dernier est actif ; il a pour lui une grande partie du peuple des campagnes ; il a surtout la force des habitudes et la pente du caractère national vers tout ce qui est extrême. On finirait alors par en venir à la restauration pure et simple du principe absolutiste, et nous n’aurions fait que changer d’ennemis. Cette conséquence n’est pas infaillible, mais elle est très probable, et elle doit être prise en grande considération, tant par notre gouvernement que par les Espagnols amis d’une sage liberté. Si jamais ce mariage se réalisait, il serait prudent de bien prendre ses précautions d’avance, et de mettre le nouveau roi dans l’impossibilité d’abuser de son pouvoir. Ce serait difficile sans doute ; ce serait pourtant nécessaire dans l’intérêt des deux pays.

Mais ce n’est pas là le seul embarras de ce projet. Nous venons d’en parler comme s’il avait réussi ; que dirons-nous des obstacles que rencontrera son succès ? Le plus grand de tous est l’obstination de don Carlos lui-même, qui ne veut pas sacrifier le principe de la légitimité. Au point de vue des idées qu’il représente, ce prince a raison, et ses refus ne sont pas sans dignité. Quelle que soit l’utilité pratique du moyen qu’on lui propose, c’est une transaction. Or, il est de l’essence même du principe de la légitimité de ne pas transiger ; il doit vaincre ou mourir tout entier. Ce n’est pas tout. Supposons la résistance de don Carlos vaincue : quels seront les moyens d’exécution ? Le gouvernement espagnol ne donnera probablement pas les mains à ce mariage ; il faudra donc l’y contraindre par la force ? Ce serait alors le cas de la grande expédition carlo-christine dont on a tant parlé ; mais l’empressement que le gouvernement espagnol a mis à dénoncer d’avance cette expédition doit montrer qu’il la désire, au lieu de la craindre. Si un pareil drapeau était levé contre lui, il deviendrait bien réellement ce qu’il veut être, le représentant de la révolution en Espagne. Or, c’est ce que ses ennemis doivent éviter avant tout. Puis se figure-t-on, dans la même armée, combattant pour la même cause, les ennemis d’hier, et, pour prendre les deux noms qui ont été